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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 21:36

 

Le virus maurrassien
dans les rangs de la tradition ?

Deuxième  partie

 

 

 

L'argument selon lequel les papes, en disant que la société était faite pour l'homme et non l'homme pour la société ont ouvert les portes au personnalisme version Vatican II, est erroné.

 

 

Réfutation de la thèse des contradicteurs :

 

Commençons par réfuter l'argument. Référons-nous à Julio Meinvielle, auteur de Conception catholique de la politique[1].

 

Les propos de cet auteur ne peuvent être suspectés de personnalisme car ce prêtre intègre et très savant, d’une philosophie rigoureuse, a beaucoup écrit contre le personnalisme, notamment contre le personnalisme de Maritain[2]. Par-dessus tout, l'Abbé Meinvielle se cale sur la doctrine de l'Eglise et n'en déroge pas. Dans la première phrase de Conception catholique de la politique, J. Meinvielle s’exprime ainsi :

« La politique doit être au service de l’homme. Voilà une formule qui résume le présent ouvrage, formule qui parle peu et confusément à celui qui n’a pas une idée exacte de l’homme. (p. 13)

Il répète p. 33 « La politique doit être au service de l’homme. Voilà la grande vérité que nous proclamons avec insistance. Aussi, quand le bien moral de l’homme, sans être détruit, doit se subordonner à un bien supérieur, la politique devra s’y subordonner elle aussi. »

 

Comment Julio Meinvielle arrive-t-il à poser cette affirmation ? Sur quoi se fonde-t-il ?

Sur la finalité ultime de l’homme, à savoir la béatitude en Dieu. Si l’homme doit se destiner à la béatitude éternelle, la société ne peut contrarier cette finalité ; elle doit au contraire s’y ajuster. Tel est le postulat de la politique chrétienne. C’est pourquoi notre auteur précise pp. 14-15 :

La politique est une activité morale qui sourd naturellement des exigences humaines de sa vie terrestre. Aussi, tant la science politique qui légifère sur les conditions essentielles de la cité terrestre, que la prudence politique, qui détermine les actions qui conviennent à certaines circonstances concrètes pour l’obtention de buts politiques déterminés, doivent s’ajuster à la vie surnaturelle. De soi, elle se développe dans un domaine purement humain jouissant d’une autonomie d’action réglée par la raison, mais tout cet ordre est surélevé dans l’économie présente par la fin surnaturelle assignée à l’homme par Dieu.

Cette subordination n’est pas purement extrinsèque, comme si la politique pouvait se référer à une fin supérieure sans être transformée intérieurement. En fait, elle doit tendre positivement à la réalisation de cette fin surnaturelle, puisque celle-ci entraîne une rénovation intérieure et un nouvel ordre.

 

Le père Meinvielle précise p. 37

« L’étatisme est une absurdité monstrueuse, parce qu’elle fait dériver de l’Etat tout droit, alors que la saine raison enseigne que, s’il est vrai que l’Etat a des droits certains et précis, l’homme-individu, l’homme-famille et l’homme–société particulière ont aussi les leurs et tout aussi inaliénables que ceux de l’Etat. C’est précisément l’ordre divin manifesté par la loi naturelle, qui dit que, si l’Etat doit ordonner au bien commun tous les droits de l’homme – individu, de l’homme – famille, et de l’homme – société, il doit les ordonner sans les dévorer, mais en les défendant et en les protégeant. En effet, c’est pour cela que les hommes vivent en société : pour protéger leurs droits légitimes et inaliénables qu’ils ne pourraient faire prévaloir dans la jungle où règne la loi du plus fort. La raison qui justifie l’existence et la nécessité de l’Etat condamne l’Etatisme, car l’Etat n’est pas là pour supprimer, mais pour garantir les droits des unités qui lui sont subordonnées. »

 

C’est en ce sens que la société est faite pour l’homme et non l’homme pour la société. Cet enseignement rejoint celui des papes antéconciliaires. Citons Léon XIII[3] :

« Si la nature elle–même a institué la société tant domestique que civile, ça n’a pas été pour qu’elle fut la fin dernière de l’homme, mais pour qu’il trouvât en elle et par elle, des secours qui le rendissent capable d’atteindre à sa perfection (…) dès lors, ceux qui rédigent des constitutions et font des lois, doivent tenir compte de la nature morale et religieuse de l’homme, et l’aider à se perfectionner, mais avec ordre et droiture, n’ordonnant ni ne prohibant rien sans avoir égard à la fin propre de chacune des sociétés civile et religieuse. L’Eglise ne saurait donc être indifférente à ce que telle ou telle loi régisse les Etats. »

 

Saint Pie X[4] pensait de même :

« Quoiqu’il fasse, même dans l’ordre des choses temporelles, le chrétien n’a pas le droit de mettre au deuxième rang les intérêts surnaturels ; bien plus, les règles de la doctrine chrétienne l’obligent à tout diriger vers le souverain bien comme vers la fin dernière ; toutes ses actions, en tant que moralement bonnes ou mauvaises, c’est à dire en accord ou en désaccord avec le droit naturel et divin, tombent sous le jugement et la juridiction de l’Eglise. »

 

Cette position est encore confirmée par Pie XII [5] :

 

« L’Etat devrait donc, en vertu même, pour ainsi dire, de l’instinct de conservation, remplir ce qui, essentiellement et selon le plan de Dieu Créateur et Sauveur, est son premier devoir, c'est-à-dire : garantir les valeurs qui assurent à la famille l’ordre, la dignité humaine, la santé, la félicité. Ces valeurs-là, qui sont des éléments même du bien commun, il n’est jamais permis de les sacrifier à ce qui pourrait être apparemment un bien commun. Indiquons en seulement à titre d’exemples, quelques unes qui se trouvent, à l’heure présente, en plus grand péril : l’indissolubilité du mariage ; la procréation de la vie avant la naissance ; l’habitation convenable de la famille, non pas d’un ou deux enfants, ou même sans enfants, mais de la famille normale plus nombreuse, la fourniture du travail, car le chômage du père est la plus amère détresse de la famille ; le droit des parents sur les enfants vis-à-vis de l’Etat ; la pleine liberté pour les parents d’élever leurs enfants dans la vraie foi, et par conséquent, le droit des parents catholiques à l’école catholique ; des conditions de vie publique et notamment une moralité publique telle que les familles et surtout la jeunesse ne soient pas dans la certitude morale d’en subir la corruption. »

 

Revenons à l’argument principal : Dieu a créé l’homme en l’ordonnant à la société, afin que, par elle, il accède à une plus grande perfection en appliquant les principes de la loi naturelle. C’est pourquoi la société se doit d’édicter des lois conformes à cette loi naturelle. Par ailleurs, Dieu assigne à l’homme une destinée surnaturelle. C’est pourquoi la société doit se conformer à la pensée de l’Eglise en tout ce qui intéresse le salut, en tout ce qui concerne la foi et les mœurs. S’il n’en était pas ainsi, si Dieu, qui destine l’homme à la vie surnaturelle, avait prévu que la société puisse légitimement ignorer la destinée surnaturelle de l'homme, alors, les desseins de Dieu n'entreraient pas en cohérence. Mais il n'en est pas ainsi.

 

Certains contradicteurs objecteront : Dans la poursuite du bien commun, le responsable politique ne peut pas se préoccuper et ne se préoccupe d'ailleurs pas de l'avancement moral des individus. Le domaine du collectif ne doit pas être parasité par les considérations particulières aux individus. Le bien commun, poursuivi par la politique, l'emporte sur le bien individuel.

 

A quoi nous répondons : ne faisons pas de confusion. La morale n'est pas limitée aux obligations concernant les individus. Les actions collectives, la politique, et l'économie, elles aussi, font partie de la morale, dans la mesure où, par ces activités on procure volontairement un certain bien ou, au contraire, on engendre destructions et privation de toutes sortes.

 

En outre, il est impossible, tout spécialement à notre époque, de nier l'influence de l'Etat sur les consciences individuelles. Les lois et les organisations administratives ne sont jamais moralement neutres dans leur entier. On ne peut faire semblant de concevoir la politique comme pure de toute incitation au péché. De même, si l'on admet que la politique puisse être gravement scandaleuse, on ne peut faire semblant de la concevoir dans un caisson étanche, préservant les individus de toute contagion possible. Les lois sur la famille, sur le divorce, l'avortement, le pacs, le mariage entre personnes d'un même sexe, sur les manipulations génétiques, sur la dépénalisation de la drogue, etc. déchirent l'ordre moral : les familles éclatent, les méfaits de la drogue s'étendent toujours plus, la criminalité est en hausse.

 

Dans le domaine économique, les idées libérales imposées par les forces mondialistes, rendent l'argent, par le mécanisme du crédit, maître de tout. Elles asservissent des peuples entiers à la loi de cupidité que prescrit un petit nombre d'individus. Le chômage endémique gangrène la société, engendrant la violence. La morale de l'Etat moderne consiste à ne pas avoir de morale.

D'où notre question : est-il légitime de déconnecter et donc d'exonérer l’action politique, qui ne poursuit pas obligatoirement le bien commun de la société, de ses implications possibles sur les individus ? A l'évidence : non.

C'est pourquoi l'Eglise à le droit et l'obligation d'intervenir avec autorité, en matière sociale et politique. Si donc l'Eglise peut et doit intervenir avec autorité en matière sociale et politique, on ne peut considérer les écrits des papes comme de simples vaticinations, au même titre que d'autres écrits de philosophes, d'essayistes, de journalistes, d'hommes politiques, voire de simples ecclésiastiques ne professant que leur opinion personnelle.

 

 

Jusqu'où s'étend cette possible intervention de l'Eglise ?

 

L'Eglise, puissance de Salut, intervient pour préserver ou délivrer les hommes du péché. En religion, comme en morale, le mal consiste pour l'homme à s’éloigner de sa fin, le bien consiste à y correspondre. L’Eglise, gardienne de la morale et de la religion, veille à ce que les hommes correspondent à leur finalité. En conséquence, le pouvoir politique doit être soumis au pouvoir spirituel du pape « ratione peccati », c'est-à-dire en ce qui concerne le péché. Les interventions de l'Eglise sont donc un grand bienfait de Dieu : elles permettent de faire reculer le péché et les occasions de pécher. (Car le Seigneur ne laisse pas toujours le sceptre des pêcheurs sur l'héritage des justes, de peur que les justes n'étendent leurs mains vers l'iniquité. Quia non relinquet Dominus virgam peccatorum supra sortem justorum : ut non extendant justi ad iniquitatem manus suas Ps. 124).

 

 

Résumons ces divers arguments :

 

Pour l’Abbé Julio Meinvielle la politique, en tant qu’activité morale, doit s’ajuster à la vie surnaturelle de par la fin surnaturelle de l’homme. Par ailleurs, les devoirs naturels de l’homme dans la profession ou la famille ne peuvent être niés par la politique mais doivent être protégés par l’Etat.

Léon XIII rappelle que la société n’est pas la fin ultime de l’homme, mais que son rôle est de permettre à l’homme d’atteindre sa perfection. Dès lors, « ceux qui rédigent des constitutions et font des lois, doivent tenir compte de la nature morale et religieuse de l’homme, et l’aider à se perfectionner, mais avec ordre et droiture, n’ordonnant ni ne prohibant rien sans avoir égard à la fin propre de chacune des sociétés civile et religieuse. »

Saint Pie X voulait « tout diriger vers le souverain bien comme vers la fin dernière » 

 

Pie XII rappelle et confirme la doctrine dans une déclaration publique en 1945[6] :

« Vous savez combien de rapports essentiels et multiples rattachent et subordonnent l’ordre social aux questions religieuses et morales. Il s’ensuit que, surtout en période de bouleversements économiques et d’agitations sociales, l’Eglise a le droit et le devoir d’exposer clairement la doctrine catholique en matière si importante. Elle l’a fait aussi de nos jours. »[7]

 

 

Conclusion

 

Par ce rapide examen, nous voyons que le litige porte moins sur un soi-disant renversement de doctrine opéré par les papes antéconciliaires que sur la doctrine de la subordination du pouvoir politique à l'Eglise. Dire que la société est faite pour l'homme et non l'homme pour la société ne conduit nullement les papes antéconciliaires à verser dans le personnalisme, le subjectivisme ou le libéralisme. Quand on affirme la doctrine séculaire de l'Eglise, soumettant la politique et l'ordre social tout entier au jugement de l'Eglise pour toutes les questions religieuses et morales, est-on suspect de "tendances libérales" ? Ouvre-t-on la porte au personnalisme ? Croire une telle chose par étourderie est encore possible, mais le penser lucidement est impossible. Comment voir une analogie dans cette doctrine multiséculaire avec les thèses de Vatican II qui, loin de soumettre la société au jugement de l'Eglise, prônent la laïcité, pourvu qu'elle comporte le respect de toute confession religieuse de la part de l'Etat (Compendium 2005)[8] et qui voit dans cette laïcité "un lieu de communication entre les diverses traditions spirituelles et la nation" ?

 

A l'inverse, si l'on veut faire accroire que les interventions des papes en matière sociale sont un débordement de l'Eglise dans le domaine temporel propre aux laïcs, domaine où l'Eglise ne jouit pas de prérogatives particulières, alors on met en doute la pertinence des jugements de l'Eglise, on ouvre ainsi toutes grandes les portes à de multiples erreurs au modernisme, au laïcisme et même au libéralisme impénitent. Là est le fond du problème.

 

Hugo Clementi et Michel Tougne



[1] Les citations que nous faisons de Julio Meinvielle se trouvent toutes dans la traduction faite de l’Espagnol par Madame Bosselard Faidherbe de l'ouvrage Conception Catholique de la politique de 1948 Editions Nuestro Tiempo.

[2] Julio Meinvielle,; De Lamennais à Maritain, DMM, 317 p, 2001.

[3] Léon XIII : Encyclique Sapientiae Christianae

[4] Encyclique Singulari quadam caritatae, du 24 septembre 1912.

[5] Pie XII, Allocution à des pères de famille français, 18 septembre 1951

 

[6] Toujours dans notre première partie, La matière de la doctrine sociale de l’Eglise

[7] Pie XII : à l’action catholique italienne le 29 avril 1945 

[8] Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, 2005, p. 323, § 572

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  • La politique est refoulée par les mêmes causes qui ont éliminé la religion. Dès lors, que reste-il de la société ? La science ? Mais la science ne donne aucun sens aux actes humains. Il est urgent de retrouver la mémoire de ce que nous sommes
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