Mgr Fellay est-il bien placé pour juger
trois de ses prêtres?
Trois prêtres de la FSSPX ont été identifiés par Menzingen comme étant les auteurs d’une lettre très ferme, mettant à jour les atermoiements, les
contradictions, voire les mensonges proférés par Mgr Fellay au sujet de l’opération « ralliement » qui, a été, pour l’instant, réduite à néant par une opération « dissuasion »
concoctée en hâte au Vatican.
Ces trois prêtres sont accusés de désobéissance grave, voire de sédition contre le Supérieur général et doivent passer en « jugement ». Certes, dans la
vie sacerdotale, plus encore que dans la vie civile, l’obéissance est une obligation morale à laquelle on s’engage devant Dieu. La désobéissance est donc un acte très grave.
Néanmoins, l’obéissance chrétienne ne peut pas être exigée de manière absolue quelles que soient les circonstances. Mgr Fellay peut-il prétendre à l’obéissance de
ces prêtres ? Sa position de Supérieur Général suffit-elle à fonder en conscience l’obligation d’obéir ? En l’occurrence, nous ne le pensons pas. Mais que vaut notre opinion ?
Avons-nous des raisons sérieuses pour soutenir ces prêtres et dénier à Mgr Fellay le droit de les juger ?
Pour répondre à cette question, il nous faut étudier ce qu’est l’autorité. L’obéissance correspond à l’autorité et ne peut avoir de sens qu’en correspondant à
l’autorité. Essayons, dans un premier temps, de cerner le bien-fondé de l’autorité en général. Nous en apercevrons aussi les limites ; puis nous resituerons les faits en regardant d’un peu
plus haut.
I. Définition de l’autorité.
Qu’est-ce que l’autorité ? Ce terme découle de deux mots latins : du verbe « augere » –qui veut dire « augmenter » ; et du
substantif « auctor », qu’on traduit par « auteur » ou « créateur ». Par cette étymologie, on comprend que l’autorité de Dieu est absolue, car,
d’une part, Il est l’auteur de toutes choses ; d’autre part, Il nous donne la vie naturelle et par sa Grâce, qui augmente les vertus, il nous élève à la vie surnaturelle.
Gardons-nous de définir l’autorité par ce qui n’en est qu’une contrefaçon. Ne disons jamais que l’autorité a pour finalité de réprimer les mauvais penchants de la
race humaine. Le philosophe Hume pensait que l’autorité de l’Etat était faite pour éviter que les hommes ne finissent par s’entretuer. Une telle vision de l’autorité, basée sur la méfiance, est
issue d’un pessimisme protestant pensant que, depuis le péché originel, plus rien de bon ne reste dans l’homme. Non seulement cette conception est fausse, mais elle est dangereuse car jusqu’où le
supérieur doit-il pousser sa méfiance envers ses subordonnés ? Quel droit ne va-t-il pas s’octroyer afin de prévenir le mal ? Avec de telles idées, son penchant sera de gouverner par la
contrainte. Or l’obéissance, la vraie, procède d’une obligation morale et se différencie donc de l’exécution d’un ordre dans la peur ou la contrainte. On le comprend mieux lorsqu’on examine les
différents modes de gouvernement de Dieu selon les différents ordres de la Création.
II. L’autorité, fondée dans l’ordre naturel, y trouve aussi ses
limites.
1 .Dieu conduit les êtres inanimés nécessairement vers leur fin par des lois physiques. Les êtres animés sans raison sont régis par leur instinct. L’homme,
doué d’intelligence et de volonté libre, a été laissé « à son propre conseil » (Si. : 15, 14). Donc l'homme a été remis au gouvernement de sa propre raison. Est-ce à dire qu’aucun
homme ne peut commander à aucun autre homme ? Répondre oui serait la première erreur sur l’autorité. Les révolutionnaires, certains philosophes et autres anarchistes « humanistes »
pensent que toute hiérarchie est suspecte, sinon mauvaise. Ils dissolvent la notion d’autorité et ne trouvent plus de fondement pour l’obéissance. Or la révolution conduit au chaos.
2. Mais une autre erreur sur l’autorité engendrera une autre erreur sur l’obéissance. Un positivisme exagéré amène à concevoir l’autorité
comme une « délégation », Dieu établissant certains hommes pour gouverner et d’autres pour obéir. Cette vision positiviste accorde à toute personne en position de chef un pouvoir
illimité, parce qu’il est chef, indépendamment des contextes et des circonstances. Penser ainsi revient à mutiler l’autorité de sa nécessaire connexion avec l’ordre naturel qui reste la règle
suprême. On opte alors pour une morale volontariste affirmant que le bien est dans la volonté du supérieur, l’inférieur devant faire abstraction de son intelligence et de sa volonté. Ce
positivisme correspond assez bien au caractère germanique. Mais c’est une vision funeste, car là où cette délégation n’est pas précisée par Révélation divine immédiate, où donc l’autorité
trouvera-t-elle ses limites ? Sera-t-il possible de distinguer entre le bien et l’arbitraire d’un homme ?
Toutefois, nous concédons que, pour le plus grand nombre, obéir aux autorités en place, de manière positiviste, est plus facile. Les hommes préfèrent les autorités
constituées et sont naturellement portés à faire confiance. Cette opinion favorable pour la hiérarchie est même moralement hautement recommandée. Néanmoins, cette propension naturelle à suivre le
chef ne donne pas la vérité sur l’autorité. Ce désir de pouvoir faire confiance doit donner à tout supérieur le souci de ne pas abuser les subordonnés.
3. Saint Thomas, Docteur commun de l’Eglise, nous fait découvrir le véritable fondement de l’autorité et de l’obéissance dans la nature sociale de l’homme (IIa,
IIae, q. 104). Les hommes vivent en divers groupes où se réalise en commun un certain bien. L’ordre naturel étant la participation de la Loi Eternelle dans les choses créées, c’est
véritablement fonder l’autorité sur Dieu que de la déduire des structures naturelles de la société. Tout le monde comprendra qu’un père de famille, de par l’ordre naturel, a
autorité chez lui, mais non sur la famille de son voisin. Le roi David avait autorité sur son armée et dans son palais, mais n’avait pas autorité pour prendre l’épouse de son serviteur
Uri.
4. Autre point important : l’autorité est liée au gouvernement de la communauté. Mais elle n’a ni le pouvoir ni le droit de modifier les vérités
naturelles spéculatives. Aucune autorité sur terre ne peut donner à l’erreur le moindre droit à l’existence. L'erreur «n'a objectivement aucun droit, ni à l'existence, ni à la
propagande, ni à l'action» (Pie XII, Discours aux juristes catholiques italiens, 1953). Aucune autorité, ni même le souverain pontife ne peut décider que ce qui est noir est blanc, que
ce qui est mal est bien, que les fausses religions sont devenues bonnes, que s’éloigner de Dieu et de la doctrine du Christ est un bien.
5. Bien qu’étant une institution à vocation religieuse, et donc surnaturelle, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, n’échappe pas, du fait de sa composante
humaine, à la règle naturelle. En conséquence, tout supérieur, dans l’exercice de ses fonctions, participe à l’autorité divine, mais cette autorité se limite au gouvernement de sa communauté.
Toute autorité humaine porte sur un groupe et doit agir en fonction de son bien commun. Les limites du bien commun de ce groupe fixent les limites de l’autorité de son
Supérieur. L’autorité du supérieur ne s’étend pas au bien commun d’autres groupes, ni à un groupe plus vaste au-dessus du sien. Par exemple, un préfet dont l’autorité s’étend à un
département, n’a pas d’autorité à l’échelon mondial. Il n’a ni le pouvoir afférent ni le mandat nécessaire pour y prétendre. Son seul devoir est d’obéir aux préceptes venant de plus haut. Dire le
contraire, reviendrait à nier toute hiérarchie.
6. a) L’autorité est ordonnée au bien. C’est pourquoi le chef d’une société de malfrats ne saurait revendiquer la moindre autorité, même sur ses
complices. Pour ces sortes de sociétés, vivant aux dépens des autres, il n’existe aucun véritable bien commun. Car le bien commun d’un groupe n’est jamais compatible avec le péché. N’en déplaise
à nos politiciens d’aujourd’hui, aucune autorité d’aucun groupe ne saurait licitement conduire au péché, ni favoriser le péché. La parole de Caïphe disant : « Il vaut mieux qu’un homme meure
pour tout le peuple » (Jn. XVIII, 14) était prophétique, mais absolument immorale. Là n’était que l’intérêt et non le bien commun. Tout catholique sait qu’une loi immorale
ne doit pas être suivie et qu’il faut lui résister.
b) Ordonnée au bien commun, l’autorité a pour rôle d’insérer l’individu dans la collaboration à un ordre plus grand que lui. Le bien commun, qui est le bien de
tous, dépasse le bien d’un seul. Le gouvernement du Supérieur stimule et coordonne les activités des subordonnés vers l’édification de ce bien commun. Par sa soumission à l’autorité
unifiante, chaque individu est grandi, augmenté (augere), il participe au bien commun qui s’édifie, se crée et se consolide (auctor). Donc, fondamentalement, l’autorité est
aimable. Aller contre l’autorité défait l’ordre naturel et rend le monde invivable.
c) Le facteur caractéristique de cet ordre humain est le précepte. « Nous entendons par là une ordination impérative qui
s’adresse à une intelligence et à une volonté. Le précepte n’agit pas du dehors, par contrainte ou influence physique, il s’adresse à une conscience. Il lui est essentiel d’être donné à
quelqu’un qui en comprend la teneur et qui prendra librement sur soi de l’accomplir. Il reste donc parfaitement vrai que Dieu a remis l’homme entre les mains de son conseil ; bien
loin de s’opposer à l’obéissance, c’est cette prérogative qui la rend possible » (R. P. M. M. Labourdette o.p. La vertu d’obéissance selon saint Thomas, in Revue Thomiste,
octobre –décembre 1957, pp. 626-656).
d) L’obéissance demandera parfois beaucoup de courage et beaucoup d’abnégation au subordonné, mais le supérieur reste également responsable de son autorité. Le
détenteur de l’autorité est responsable et doit répondre de ses actes comme de la qualité de son commandement. Il doit veiller à ne pas rendre son autorité problématique ou douteuse, à ne pas
rendre l’obéissance plus difficile qu’elle ne doit l’être. Par-dessus tout, il s’interdira de sortir de son mandat qui est de conduire ses subordonnés vers le bien commun de son groupe.
III. Le bien commun de la Fraternité.
a) Quel est donc le bien commun de la Fraternité Saint Pie X ? Nul besoin d’en être membre pour répondre. Le Christ, singulièrement l’Eucharistie, est le bien
commun de toute la chrétienté. La Fraternité a pour mission de donner des prêtres à l’Eglise, afin qu’ils donnent aux fidèles le Christ, gage de Vie Eternelle. Donc, ses séminaires et ses prêtres
constituent le cœur du bien commun de la Fraternité, tout comme les enfants sont le bien commun d’une famille.
b) Le bien commun de la Fraternité a ceci de particulier que les prêtres qu’elle forme doivent être d’esprit traditionnel, sans compromission avec le modernisme qui
ravage actuellement l’Eglise. Ainsi, en a décidé son fondateur Mgr Marcel Lefebvre. C’est pourquoi le serment antimoderniste rendu obligatoire sous Saint Pie X a été conservé dans la Fraternité,
alors que l’Eglise, d’esprit moderniste, l’a supprimé.
d) Il faut ajouter au bien commun de la Fraternité l’esprit qui la spécifie, qui lui donne sa forme : sa résistance aux erreurs du Concile Vatican II, erreurs
se traduisant particulièrement dans la liberté religieuse, l’œcuménisme et la collégialité. Cette résistance ne fait pas de la Fraternité un groupe coupé de l’Eglise, retranché du Corps mystique
du Christ, au contraire. L’appartenance au Corps Mystique du Christ dépend des vérités à connaître, des sacrements à recevoir et des commandements à pratiquer. Parmi ces commandements, il y a
certes l’obéissance au Pape et aux autorités de l’Eglise. Mais cette obéissance elle-même est réglée sur la foi. En cas de divergences entre la Foi et les autorités de l’Eglise, il faut conserver
la Foi. « Mieux vaut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (saint Pierre, Actes 4:19). Il est impossible d’obéir à Dieu en obéissant aux hommes dès lors qu’ils sont éloignés de Dieu et se
sont faits ennemis de sa doctrine. Nos désobéissances au modernisme obéissent à Dieu.
e) Au fil des rencontres avec Rome, Mgr Lefebvre s’est rendu compte du fait que les référents des hommes du Vatican s’étaient éloignés de la doctrine au point
d’être devenus incompatibles avec la Tradition séculaire de l’Eglise : Mgr Lefebvre déclarait à la revue Fideliter n°79, p. 4
« Fideliter : Pensez-vous
que la situation se soit encore dégradée depuis que vous aviez – avant les sacres – engagé des conversations qui avaient abouti à la rédaction du protocole du 5 mai
1988 ? Monseigneur Lefebvre
: Oh oui ! Par exemple -la profession de foi qui est maintenant réclamée par
le Cardinal Ratzinger depuis le début de l'année 1989. C’est un fait très grave. Car il demande à tous ceux qui se sont ralliés ou qui pourraient le faire de faire une profession de foi dans les
documents du Concile et dans les réformes postconciliaires. Pour nous c'est impossible ».
f) Tel est le patrimoine spirituel laissé à la FSSPX par son fondateur. La conservation de ce bien commun implique évidemment qu’on s’oppose à la Rome d’esprit
conciliaire et que les prêtres expliquent aux fidèles la vérité s’opposant à ces erreurs. Jusqu’ici, Rome n’a eu de cesse de vouloir amener aux principes du concile Vatican II les prêtres fidèles
à la Tradition. Au fil des ans, l’expérience de la Fraternité depuis sa création en novembre 1970, a montré qu’une collaboration avec cette Rome imbue de l’esprit du Concile était impossible.
Jusqu’ici, les prêtres ont victorieusement résisté à la tentation du ralliement, à quelques malheureuses exceptions près. Sans cet esprit animé par l’amour de la vérité et la beauté du Sacerdoce
catholique, la Fraternité Saint Pie X n’existerait pas. Elle a reçu cet esprit de son fondateur. Mgr Marcel Lefebvre lui a légué sa grâce capitale. Tel est le cœur de son Bien commun.
IV. Examen des faits à la lumière des caractéristiques propres à toute
autorité.
En œuvrant pour un ralliement par des contacts et des tractations dont le contenu restait secret, Mgr Fellay a voulu transformer le bien commun de la Fraternité. A
preuve, la déclaration doctrinale en date du 15 avril 2012, publiée par lasapinière info puis relayée par les sites anti-accordistes, déclaration stipulant :
I. Nous promettons d’être toujours fidèles à l’Eglise catholique et au Pontife romain, son Pasteur suprême, Vicaire du Christ, successeur de Pierre et chef du
Corps des évêques.
II. Nous déclarons accepter les enseignements du Magistère de l’Eglise en matière de foi et de morale, en donnant à chaque affirmation doctrinale le degré
d’adhésion requis, selon la doctrine contenue dans le nº 25 de la Constitution dogmatique Lumen Gentium du Concile Vatican II.
Or, nous l’avons vu (cf. plus haut : III, 6, e, déclaration de Mgr Lefebvre à Fideliter N° 79), le bien commun spécifique de la Fraternité saint
Pie X est incompatible avec l’acceptation de l’enseignement de la totalité du Magistère actuel en matière de foi et de morale. Le changement de contenu du bien commun de la
Fraternité signifié par Mgr Fellay est considérable, car il faudrait revisiter toute l’expérience de la Fraternité depuis sa fondation. Il ne s’agit pas d’un simple ajout, d’une simple
modification rendant plus explicite la signification de ce bien commun. Il s’agit d’une négation, d’une infirmation de la forme qui spécifie ce bien commun.
Porté à la position de Supérieur Général par l’acceptation de ce bien commun à défendre et à faire connaître, comment ce même Supérieur Général peut-il maintenant
se prévaloir de sa position et de son autorité, pour aller contre ce bien commun ? Il s’agit là simplement d’un abus de pouvoir. A moins de dire que le bien commun ne sert à rien et qu’un
Supérieur n’a pas à diriger son groupe selon le bien commun, ce comportement est inacceptable.
b. S’agissant du secret entretenu autour des négociations avec Rome, secret heureusement brisé par la publication de la lettre de
protestation des trois autres évêques et de la réponse de Mgr Fellay, nous voyons que cette attitude disconvient gravement à l’obligation de respecter le précepte d’une
autorité s’adressant à l’intelligence et à la volonté des subordonnés. Car, nous l’avons vu (cf. plus haut II, 6, c) l’obéissance chrétienne ne peut s’assimiler à celle de brutes
sans raison, suivant aveuglément des ordres donnés quels qu’ils soient.
c. Mgr Fellay peut-il prétendre à l’obéissance en prescrivant l’acceptation du Magistère post conciliaire ? Non, dans la mesure où ce magistère charrie des
erreurs contre la Foi. Personne n’a d’autorité pour obliger en conscience de mettre la Foi en danger. Personne n’a d’autorité pour obliger d’accepter la liberté religieuse, l’œcuménisme ou encore
la collégialité. Personne n’a d’autorité pour obliger d’accepter la nouvelle forme ambigüe des sacrements, etc. Ces principes sont déjà des péchés contre le Foi ou bien des occasions de péchés.
Aucune autorité d’aucun groupe ne saurait licitement conduire au péché, ni favoriser le péché. (cf. plus haut : II,6, a.) En voulant faire ainsi, Mgr Fellay commet un très grave abus de
droit, violant les consciences.
d. En ce qui concerne l’argumentation consistant à dire que Rome a changé, les faits prouvent qu’il n’en est rien. Sinon, Rome aurait accepté les offres de Mgr
Fellay sans même exiger de sa part la ratification de tout le magistère postconciliaire. Mais Rome n’a pas changé. User de son autorité pour dire le contraire, c’est vouloir étendre l’autorité à
une chimérique possibilité de changer les vérités spéculatives. (cf. plus haut : II, 4). On ne peut changer un mal en bien, c’est hors de portée des forces humaines.
e. Mgr Fellay a lui-même admis que la recherche d’une prélature auprès de Rome risquait de porter tort au bien commun de la Fraternité. Il s’est donc désolidarisé
de sa fonction qui, en tant que Supérieur général, est de conforter, confirmer ce bien commun. Il a donc agi en dehors de tout mandat ; en dehors de toute légitimité (cf. plus haut : II.,
5.).
On pourra objecter que le bien commun d’un groupe évolue dans le temps. Mais, si évolution il y a, il convient de regarder plus haut : qu’est-ce qui fonde le
bien commun de la Fraternité si ce n’est le Sacerdoce ? (cf. plus haut : III. a, b.). Or, les réformes conciliaires renforcent-elles la conception du Sacerdoce, à travers la collégialité,
dans la célébration de la nouvelle Messe dont le prêtre n’est que le président de l’action liturgique ? Evidemment non.
f. Par ses dires ou ses non-dits et par ses actes, Mgr Fellay a provoqué une déchirure au sein de la Fraternité. Or, le propre d’un gouvernement conduisant
les subordonnés vers le bien commun est d’unifier les cœurs et les actes de chacun (cf. plus haut : II, 6. b). Le fait qu’il persiste dans cette attitude en qualifiant de désobéissance coupable
la contestation publique de son désir de ralliement, indique qu’il n’entend pas prendre en compte cette déchirure et qu’il ne veut pas ou ne sait pas que sa fonction lui commande de viser au bien
commun. Il ne prend pas ou ne mesure pas ses responsabilités (cf. plus haut : II, 6.d.). Prendre des mesures de rétorsion contre ceux qui contestent son autorité, c’est construire un
rapport de forces censé justifier l’injustice.
g. Quant à l’argument consistant à dire que le bien commun de toute l’Eglise l’emporte sur le bien particulier de la Fraternité, cette considération est juste en
soi. Toutefois, il n’est nullement prouvé que le fait que la Fraternité ait refusé jusqu’ici Vatican II soit nuisible au bien commun de l’Eglise. C’est le contraire qui est vrai (cf. plus haut :
III, b, c, d.). On lèse l’Eglise par le péché contre la Foi. Mgr Lefebvre n’a jamais voulu autre chose que servir l’Eglise. C’est en restant ferme dans la Foi et en apprenant à ses prêtres à
conserver intégrale la Foi catholique qu’il servait l’Eglise du Christ. En s’occupant faussement d’un bien commun au-dessus de celui propre à la Fraternité, Mgr Fellay a banalisé l’erreur,
accusant certains membres de la Fraternité de tomber dans l’exagération quand ils n’exagéraient rien. Ce faisant, il a compromis le bien commun de la communauté qu’il dirige comme celui de
l’Eglise tout entière.
h. Enfin, hors de la Fraternité, la déchirure entre les prêtres s’est naturellement prolongée parmi les fidèles. Beaucoup d’entre eux ont œuvré pour l’essor des
prieurés et des chapelles, donnant de leur personne et de leurs biens. Certains ont même confié leurs enfants qui sont devenus prêtres, frères ou sœurs dans la Fraternité ou dans certaines
communautés amies. Ils l’ont fait en connaissance de cause et très consciemment pour contrer la contamination du modernisme et donner ainsi au Seigneur des enfants intégralement catholiques. Les
prêtres, prêchant dans ce sens, ont exhorté les parents à veiller sur la foi de leurs enfants en les confiant à la Fraternité et non ailleurs. Les prêtres n’ont jamais dit : « confiez
vos enfants aux communautés Ecclesia Dei ». S’ils l’avaient dit, les fidèles n’auraient pas compris.
C’est donc avec stupeur que ces parents ont appris que la recherche d’une prélature personnelle par Mgr Fellay primait sur tout le reste. Les enfants confiés à la
Fraternité, aujourd’hui devenus prêtres, frères ou sœurs ; les enfants confiés aux communautés amies acceptant le revirement de Mgr Fellay, sont maintenant mentalement prêts à se plier aux
« enseignements du Magistère de l’Eglise en matière de foi et de morale » (cf. déclaration doctrinale) tout comme Mgr Fellay. Certains parents ont bien essayé de dire :
« Mon enfant, à quoi dois-tu ta vocation, si ce n’est à l’enseignement de la foi intégrale et inchangée ? Si nous t’avions laissé en contact avec les enseignements du magistère
après Vatican II, aurais-tu jamais eu la vocation en allant à la messe là où l’on bat des mains, où l’on prend le Corps du Christ avec ses doigts, dans ces églises où il n’y a plus de
confessionnaux ? » Mais parfois, rien n’y fait. La déchirure s’est propagée jusque dans les familles, les parents se sachant spirituellement coupés des enfants qu’ils avaient
confiés à la Fraternité.
Nous savons que cela importera très peu à certains. Pour d’autres, il y a une ignoble tromperie. Mais ces derniers offrent tout cela au bon Dieu.
C’est pourquoi ces fidèles, avec beaucoup d’autres, soutiennent de tout cœur les prêtres de la Fraternité saint Pie X. lorsqu’ils dénoncent publiquement les
errements de Mgr Fellay. Il n’y a dans ce soutien rien d’autre que ce qui animait déjà ces mêmes parents : l’amour de la sainte Messe, l’amour de l’Eglise, la vénération et la reconnaissance
débordante de leur cœur pour la Miséricorde divine prodiguée à travers les sacrements, l’amour des âmes et l’amour du Christ Roi. Ils espèrent que leur soutien pourra au moins égaler celui qu’ils
fournissaient quelques années auparavant à la Fraternité de Mgr Lefebvre.
Conclusion
Parmi la foule des causes possibles d’une telle situation, il y a cette vision positiviste qui accorde à toute personne en position de chef un pouvoir
illimité, parce qu’il est chef, indépendamment des contextes et des circonstances. Penser ainsi revient à mutiler l’autorité de sa nécessaire connexion avec l’ordre naturel qui reste la règle
suprême (cf. plus haut : II, 2). Cette illusion positiviste peut expliquer, en partie, le fait que les prêtres courageux, exprimant leur désaccord, ne soient encore largement
majoritaires. Mais nous reconnaissons que ceux qui restent silencieux peuvent aussi avoir des raisons très pertinentes. Le temps dira ce qu’il en est.
En définitive, dans la situation actuelle, la morale est gravement lésée, car l’autorité a une très grande importance. La nier est un principe révolutionnaire. Mais
la déformer, la contrefaire par la construction d’un rapport de forces misérable et injuste, après avoir méprisé le bien commun de sa communauté, est objectivement une négation de l’ordre moral,
une contribution à la révolution. Le jugement que prononcera Mgr Fellay contre ces prêtres, risque d’ajouter à l’immoralité. Prions pour qu’il n’en soit pas ainsi.
Celine MUHGOT et Hugo
CLEMENTI