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22 avril 2007 7 22 /04 /avril /2007 12:30
Tant qu’on se cantonne au domaine technique de l’organisation, la stratégie des réseaux est toute de logique. Elle ne porte à aucun commentaire particulier. L’organisation commande à l’entreprise de rechercher et d’organiser les ressources dont elle a besoin. Le présupposé, c’est que l’entreprise doit s’adapter.Mais le présupposé peut être remis en question lorsqu’on s’aperçoit que la situation difficile, à laquelle les entreprises doivent faire face, a été créée par les entreprises elles-mêmes : c’est dans la mesure où l’on se livre à la guerre économique, à la concurrence sans fin,  où l’on affirme (sans preuve) que la guerre, c’est le progrès, c'est dans cette mesure qu’e l'on trouvera normal de se trouver en permanence en situation de survie. Or, le présupposé manque de fondement. Une saine remise en cause permettrait de sortir des contraintes organisationnelles. Si l’on sort du mécanisme organisationnel, pour se placer plus largement sur le plan humain et sur le plan de la société, incluant le plan moral individuel et le plan politique, il en va tout autrement : le réseau n’apparaît plus sous un jour logique et anodin.  

Questions sur la stratégie
des entreprises mondiales en réseau

Nous ne prétendons pas avoir rendu compte de la réalité multiforme et très variable des entreprises en réseau. Nous n’avions d’ailleurs nullement l’intention de faire ce qui existe déjà et qui est assez bien fait : les ouvrages que nous avons cités suffisent à présenter ces réalités. Tant qu’on se cantonne au domaine technique de l’organisation, la stratégie des réseaux est toute de logique. Elle ne porte à aucun commentaire particulier. L’organisation commande à l’entreprise de rechercher et d’organiser les ressources dont elle a besoin. Le présupposé, c’est que l’entreprise doit s’adapter.Mais le présupposé peut être remis en question lorsqu’on s’aperçoit que la situation difficile, à laquelle les entreprises doivent faire face, a été créée par les entreprises elles-mêmes : c’est dans la mesure où l’on se livre à la guerre économique, à la concurrence sans fin, c’est dans la meure où l’on affirme (sans preuve) que la guerre, c’est le progrès, qu’on trouve normal de se trouver en permanence en situation de survie. Or, le présupposé manque de fondement. Une saine remise en cause permettrait de sortir des contraintes organisationnelles. Si l’on sort du mécanisme organisationnel, pour se placer plus largement sur le plan humain et sur le plan de la société, incluant le plan moral individuel et le plan politique, il en va tout autrement : le réseau n’apparaît plus sous un jour logique et anodin.  C’est pourquoi nous devons étudier : Les conditions de travail qui sont faites au personnel – qui est, pour partie, externalisé. L’entreprise riche, dotée de ressources sans précédent, a-t-elle les moyens d’offrir autre chose qu’une vie précaire, où contrastent l’opulence et le dénuement, sans beaucoup d’attrait ni de sens ? L’emploi est-il plus stable ? Le travail plus personnel ? Nous examinerons les relations interentreprises à l’intérieur d’un réseau. Bien que dénommées partenaires, n’existe-t-il pas entre les firmes un rapport de forces dominés - dominants, débouchant sur la tyrannie d’un petit nombre dans la plupart des secteurs ? Enfin, la mondialisation, élément prépondérant de notre économie moderne, pose un problème politique inédit : La stratégie des entreprises face à l’Etat-nation confère un nouveau statut à la politique. Quel est-il ? Qui demain gérera la planète ?  

 

L’ENTREPRISE EN RESEAU
ET LES POLITIQUES DE PERSONNEL.

  

Contournement du contrat de travail

 L’externalisation de certaines activités de l’entreprise signifie la plupart du temps un changement de rapport entre le travail et l’entreprise. Par exemple, externaliser un service maintenance, signifie qu’on fait appel à une autre entreprise pour faire ce que faisait un service autrefois hiérarchiquement intégré. Les membres de la sous-traitance sont alors mis en concurrence, leur non-appartenance à l’entreprise utilisatrice est toujours soulignée dans tous les rapports humains ou juridiques. Même après plusieurs années, rien n’est acquis, rien n’est assuré : la concurrence est toujours là. Or, le rapport commercial, qui fait de l’homme un produit, est souvent plus dur que la relation entre les membres d’une même entreprise. Ne serait-ce que parce qu’il subsiste, entre salariés d’une même entreprise, la notion d’un intérêt commun. Le rapport commercial se borne le plus souvent à obtenir la meilleure prestation au meilleur prix. La concurrence aidant, il est plus facile de négocier d’une année sur l’autre, non pas une augmentation pour suivre le coût de la vie, mais une baisse de 1 ou 2% : le contrat prévoit parfois que l’entreprise prestataire doit réaliser des gains de productivité qu’il pourra répercuter sur son client en réduisant le montant de sa facturation. Les procédures obligent les prestataires au respect des prix, des délais et de la qualité, sous peine de lourdes pénalités.[1] Les conditions draconiennes des contrats sont bien plus sévères que le fameux « lien de subordination » qui entraîne le contrat de travail. Mais ces conditions définissent le lien entre deux entreprises. Elles échappent donc au droit du travail et ressortissent du droit commercial. Particulièrement dans certains cas où l’entreprise fournisseur travaille à demeure dans les ateliers de l’entreprise pivot pendant plusieurs années, le recours à la sous-traitance équivaut à contourner le lien juridique des contrats de travail et à transformer ce contrat de travail en contrat commercial interentreprises. « Le management juridique » devient une notion importante dans l’entreprise en réseau.  

Le Downsizing

 D’une manière générale l’entreprise en réseau se conjugue avec une politique de personnel qui mène à de fréquentes suppressions d’emplois, surtout chez les cadres moyens. On aura facilement recours à de nouvelles « approches de l’emploi »[2] telles que le temps partiel, le temps partagé, le télétravail, les contrats à durée déterminée qui tendent à permettre aux employeurs d’embaucher les cadres sur des contrats de deux ou trois ans. Ces pratiques ont des retombées sociales qui semblent durables. Dans un souci de flexibilité, de réponse rapide à la demande, les entreprises cherchent à « dégraisser » leurs effectifs. Mot affreux s’il en est, note Dimitri Weiss. En contrepoint, l’innovation des entreprises en réseau reste problématique, leur capacité de création d’emploi à peu près nulle. Le journal La Tribune du 15 octobre 2004, faisant l’éloge du livre « La face cachée du management »[3] montre qu’à la suite des restructurations - remède de cheval appliqué aux entreprises comme autrefois la saignée aux patients de Molière - les miracles attendus ne se produisent pas. « Les résultats se révèlent bien mince et surtout éphémères. » Les auteurs du livre citent une étude américaine, selon laquelle « sur les 30% d’entreprises qui ont procédé à des mises à niveau d’effectifs entre 1988 et 1993, 66% d’entre elles n’ont constaté aucune amélioration de la productivité et 55% n’ont pas augmenté leur profit opérationnel » De son côté, Michael Milgate n’annonce pas d’embellies. Il estime peu probable que : « dans un environnement concurrentiel à évolution rapide, la pression sur la réduction des coûts et l’optimisation de la productivité diminuent. Cela signifie que les méthodes et les pratiques professionnelles continueront à être surveillées de près, ce qui entraînera des changements continus dans la structure organisationnelle et le déploiement des employés ainsi que dans les acquisitions et les cessions d’activités ou de sociétés. (…) On peut s’inquiéter désormais qu’une priorité exclusive accordée à des décisions rationnelles et fondées sur des impératifs de réduction des coûts néglige certains questions moins tangibles de culture et de motivation des employés, qui peuvent se révéler importantes au niveau de la création d’un avantage concurrentiel[4] ». On ne saurait mieux dire qu’il va être de plus en plus difficile de demander au personnel de partager son temps à travers le réseau, à cheval sur plusieurs entreprises, de se retrouver des mois entiers sans bureau ni affectation claire, et d’obtenir engagement, enthousiasme, créativité, etc.  

Le nomadisme

 Depuis bientôt vingt ans, certains cadres dirigeants reçoivent des affectations avec l’objectif de mettre en place un nouveau système de gestion dans un établissement ou d’opérer une restructuration dans un autre. La mission une fois terminée, ils reçoivent une nouvelle affectation pour une autre ville avec une nouvelle lettre de mission. La politique de direction par objectifs propulse directeurs et cadres d’établissement en établissement, d’un pays à l’autre pour des périodes le plus souvent de 2 à 3 ans. La mobilité est devenue une condition préalable à une possible progression de carrière. Mais l’exigence de mobilité va toujours croissant. Dans un réseau, il est clair qu’une entreprise donneur d’ordres, ne serait-ce que pour gérer les sous-traitants, est amenée à externaliser une partie de son personnel qui joue les contrôleurs dans une entreprise puis dans une autre. La caractéristique importante de l’externalisation, nous l’avons déjà noté, est le passage de la relation hiérarchique à la relation par contrat. Cette gestion nécessite un contrôle important de la part de l’entreprise donneur d’ordre. C’est pourquoi elle missione des cadres chez le sous-traitant avec pour mandat de vérifier si tous les termes du contrat sont respectés. Dans d’autres cas, des techniciens, des gestionnaires ou des ingénieurs sont amenés à partager leur temps entre plusieurs entreprises du groupe, chaque cadre ayant simultanément à son actif plusieurs objectifs dans plusieurs établissements.  Il semble que le métier de cadre ou de technicien doive désormais se passer en voiture, dans les trains ou dans les aéroports. Lors d’une intervention devant le Conseil Economique et Social du le 5 avril 1995, Denis C. Ettighoffer, Président de Eurotechnopolis Institute, s’exprimait ainsi : « Facilité par la diffusion des réseaux, le maillage des organisations en filières professionnelles est en train de se substituer aux lignes hiérarchiques traditionnelles. Chacun s’adosse aux savoirs et aux expériences des autres afin de gagner en productivité ». En visionnaire il prédisait aux cadres leur transformation en « nomades électroniques » qui devront pratiquer les réseaux pour s’informer, se former, travailler à distance. « Les cadres devront, en s’installant dans les réseaux, se doter d’une nouvelle culture. Le nomadisme électronique est très cosmopolite, il fait bon parler anglais en communiquant avec un collègue inconnu du bout du monde. Des pratiques qui sont en train de bouleverser des modes de travail traditionnels tout autant que les statuts sociaux du monde du travail. Dans cette nouvelle « culture-réseau » nécessaire aux cadres, la conscience du service rendu à la collectivité va de pair avec une idée de l’entreprise étendue à une diaspora professionnelle ». Voilà donc l’entreprise transformée en diaspora. Quant à la « conscience du service rendu à la collectivité » dont parle D. Ettighoffer on s’interroge pour savoir à quelle collectivité il fait allusion. La diaspora professionnelle, le nomadisme peuvent-ils se conjuguer avec la notion de collectivité, quand on ne sait pas très bien quelle mission suivra celle qu’on est en train de remplir ou si seulement suivra une autre mission ? Le sentiment d’appartenir à une collectivité est très affaibli pour deux raisons : Premièrement, il est de plus en plus clair que les grandes entreprises fabriquent un environnement concurrentiel à outrance où la règle est la mise à mort du ou des concurrents. Toutes les entreprises sont fragilisées. Aucune entreprise en réseau ne peut garantir ni l’emploi, ni sa propre survie. Son mode d’organisation interne n’offre plus de réelle communauté de travail. Le licenciement est une éventualité, toujours actuelle, concernant tout le monde. La notion de collectivité, s’il elle subsiste, est évanescente Deuxième raison : la stratégie de l’entreprise vise son intérêt propre et sa survie. Même lorsqu’elle a une politique locale qui rencontre les intérêts commerciaux de ses clients, on ne peut pas assimiler cet ajustement commercial à une politique à long terme allant dans le sens du bien commun d’un pays quel qu’il soit.  Il est clair que l’entreprise travaille pour des clients, à échelle mondiale, que son capital est international, qu’elle délocalise avec facilement. C’est pourquoi on ne voit pas de quelle collectivité elle se réclame et pour quelle collectivité elle travaille. Ettighoffer en tient pourtant pour les communautés. Il continue : « Le sentiment d’appartenir à une communauté professionnelle deviendra plus net (…) Les tribus[5] professionnelles se chercheront et s’interpelleront avec curiosité dans ces réseaux qui deviendront un fédérateur, un catalyseur d’organisation d’un genre tout à fait nouveau.Les personnels expatriés qui se retrouvent dans les escales, dans les lieux du monde les plus cosmopolites, connaissent déjà ce sentiment. Un sentiment qui les éloigne parfois de leur communauté d’origine – de leur entreprise d’origine – au bénéfice d’une relation très forte entre eux ».  Le cadre nomade ne risque-t-il pas de ressembler davantage à un paumé qu’à un père de famille ? Dix ans après l’intervention de D. Ettighoffer cette perspective n’est peut-être pas entièrement réalisée, mais l’évolution va dans ce sens. L’autonomie de l’homme, pensée dans l’abstrait, devient  le mythe d’un individu sans racines sociales. Cette idéologie permet à l’entreprise de se retirer du rapport social : elle estime ne plus avoir à penser l’emploi en terme de stabilité, (cela coûte trop cher, vu la concurrence) ; elle ne veut plus penser qu’à elle-même, à son court terme, à sa survie.  Le discours de Denis Ettighoffer peut-il être interprété comme une suggestion, à l’adresse des syndicats, pour qu’ils aident à la formation de diasporas professionnelles internationales ? Les organisations syndicales ont bien du mal à définir leur rôle dans l’entreprise en réseau. N’auraient-elles pas un nouveau rôle à jouer dans la gestion des métiers, en s’adaptant à la mondialisation ? Cela ne résoudrait en rien la question qui est la suivante : Est-il sûr que l’entreprise travaille encore pour la société que nous habitons ?  Pour D. Ettighoffer, le contrat de travail plein temps est un modèle datant d’une époque révolue. La solution, selon lui, est de pratiquer le temps partiel pluriel. « Le marché du travail exclut de plus en plus de salariés « normaux ». D’ores et déjà quelque 30% de la population active française et 40% de l’américaine et de la britannique se retrouvent dans des métiers exercés à temps partiels » Une prévision de l’institut économique allemand prévoyait une évolution de la population active segmentée en 25% de salariés permanents, 52% de salariés peu qualifiés à statut précaire, et 50% de salariés occasionnels, marginaux, chômeurs ou semi-chômeurs. Nous répétons notre question : est-il sûr que l’entreprise travaille pour la société ? Ou bien profite-t-elle de la société ? D’où vient que sa survie et son développement passent par la création de 50% de salariés marginaux ou chômeurs sans qu’on remette en cause les impératifs qu’elle s’assigne ? Certes, répond l’entreprise, « nous sommes dans une guerre économique ». Or, il n’est pas facile d’arrêter une guerre.   

Conséquences politiques.

  L’entreprise en réseau, qui est au départ une entreprise importante, voire déjà internationale, atteint la taille mondiale grâce aux leviers de cette stratégie, à savoir, faire supporter au sous-traitant : le coût de la gestion et des tensions avec le personnel, le coût des stocks, l’investissement et le risque financier en incitant à l’acquisition d’équipements spécifiques, notamment dans les cas d’imbrication, dès le stade l’étude du produit  un contrôle total et permanent de la gestion et de la fabrication, via les certifications qualité. Sans bourse délier l’entreprise pivot domine son réseau, elle acquiert une taille et une puissance mondiale alors que son identité devient floue. On parle aussi de « globalisation », mais ce terme est un barbarisme américain. Par opposition à l’internationalisation, ce processus entraîne l’uniformisation de l’économie mondiale. L’internationalisation des entreprises s’opère en général en adaptant les produits à chaque pays. En revanche, l’entreprise globale vend les mêmes produits de la même manière dans le monde entier. Pour une entreprise globale, les pratiques de délocalisations deviennent courantes. Recherchant son intérêt la firme mondiale n’hésite pas à licencier le personnel d’un pays donné pour s’installer dans un nouveau pays où les frais sont divisés par deux, par trois, voire par cinq. La contrepartie de ces pratiques opportunistes est l’interrogation sur la finalité de l’entreprise. Respecte-t-elle le bien commun du pays qui lui a permis de s’installer, de se développer grâce aux universités, aux infrastructures et aux efforts de la collectivité ? A ce stade, l’entreprise pose le problème de sa légitimité. Confrontée à cette interrogation, l’entreprise développe une idéologie attaquant le « nationalisme » en exaltant le mélange des cultures et la mondialisation. Faisons référence à Denis Ettighoffer déjà cité : « En abandonnant une vision trop hexagonale de nos cadres, nous devons garder présent à l’esprit qu’au siècle des réseaux électroniques, l’enjeu de notre économie est dans notre capacité à exporter cette élite pour favoriser le développement de la diaspora française. Les cadres, en devenant plus mobiles, en seront les premiers représentants. »Nous devons faire remarquer à notre auteur que si l’on coupe les racines d’un arbre ont fait un bonsaï, c’est à dire un arbre dont le développement a été entravé.. En coupant les racines de « l’élite », on obtient une élite « bonsaï ». Citons un autre chantre de la mondialisation, M. Saloff Coste qui, dans Le management du XXème siècle, (1991)[6] écrit avec toute sa conviction d’idéologue : « Rien n’est plus efficace pour quitter ses habitudes culturelles et en voir toute la relativité, que d’avoir à endosser une nouvelle culture (...) A mesure que ce type d’expériences se multiplient, il se crée toute une nouvelle humanité nomade à jamais sans territoire et citoyenne du monde. Les frontières des pays apparaîtront de plus en plus artificielles, et le concept même de pays, dans la mesure où il se réfère à l’adhésion pour la vie à une culture donnée, devient caduc »[7]. Cette autre citation, encore plus nette, discrédite l’Etat et magnifie le mondialisme : « Les frontières nous avilissent et nous rabaissent chacun au rang de prisonnier et d’otage. En se faisant soit disant les garants de notre liberté, les pays ont en fait circonscrit l’espace de notre enfermement (…) Cette tendance carcérale des frontières ne peut aller qu’en s’amplifiant. [8]» Le vieux fonds anticonstitutionnel et subversif du libéralisme n’a rien perdu de sa vigueur. Il est le substrat, le socle de la pensée libérale : dès l’instant où elle assigne une limite à la liberté, l’institution représente un obstacle, un frein au progrès, une injustice, un archaïsme ; il faut la détruire. L’ennemi, c’est l’institution qui régule et stabilise les mœurs. Les notions de communauté, de bien commun sont absentes. Il n’en faut pas moins pour justifier le mondialisme. La définition libérale de l’individu, condensée dans trois qualificatifs : individu rationnel, autonome, informé, contient en germe toute l’opposition aux institutions. En tant que rationnel et informé, il peut se conduire librement, cherchant à conduire ses actions en fonction de ses besoins. En tant qu’autonome, il ne doit subir ni l’influence du milieu familial, ni la pression de son appartenance sociale. Mieux : il n’a pas d’apparteance sociale, ni d’appartenance religieuse qu’il n’ait choisie librement et qu’il ne puisse révoquer tout aussi librement. Sur un tel homme, l’institution ne peut exercer aucune autorité. D’où les discours de Saloff Coste et de tant d’autres.  

La domination des entreprises mondiales sur l’Etat

 Sur le plan politique le management s’estime au-dessus des nations et cherche à contourner les exigences des Etats par une politique globale (mondialiste).  Dans l’ouvrage canadien La stratégie des organisations[9], Jean-Christophe Veissier écrit (p. 535) : « La mondialisation semble marquer le triomphe du marché sur l’Etat, l’activité économique prime ainsi sur les frontières politiques pour délimiter non plus des Etats-nations mais, selon la formule d’Ohmae, des Etats-régions. » L’Europe et son fonctionnement en sont une illustration : de plus en plus la structure européenne apparaît comme une réponse adaptée aux besoins des entreprises mondiales et non  aux besoins politiques. Le même auteur ajoute, p. 537, : « par rapport à la mondialisation, l’Etat nation n’a d’autre choix que de céder le terrain au marché en privilégiant l’économie interne ». Ce qui veut dire que les Etats sont en situation de demandeurs par rapport aux entreprises, qu’ils se doivent d’être compétitifs afin d’attirer les investissements, qu’ils soient étrangers ou non – la question de la nationalité du capital ne se pose plus - . Cette politique d’aménagement des lois, du territoire et des conditions faites aux firmes, va jusqu’à la négation de l’autonomie de l’Etat. Dans ce contexte on pourrait poser la question : faut-il limiter la pénétration économique étrangère et soutenir les stratégies internationales des firmes françaises au nom de la France, ou bien faut-il privilégier l’investissement d’où qu’il vienne en transformant l’Etat nation en site d’accueil d’un melting-pot économique ? La question, désormais dépassée, reste sans réponse car l’Etat n’a plus les moyens d’élaborer et de suivre une politique économique. Il ne dispose plus des outils nécessaires à l’élaboration d’une politique. Il n’a plus de frontières (accords de Schengen), plus de monnaie (passage à l’euro et politique monétaire décidée collégialement par les pays de la zone euro). Il est privé de la liberté nécessaire pour définir sa politique fiscale (impossibilité de réaliser la promesse du candidat Chirac de baisser la TVA dans la restauration sans l’accord unanime des 25 !) Désormais sans frontières, sans monnaie, incapable d’avoir son autonomie législative en matière fiscale et en droit du travail, contraint à la libre circulation des capitaux, des biens et des personnes, l’Etat n’a plus son mot à dire. C’est ainsi que notre auteur dit avec raison (p. 536) : « Les firmes bénéficient d’un pouvoir de pression croissant à l’égard  de leur état nation d’origine, tandis que ce dernier voit sa liberté de manœuvre se restreindre à l’égard de l’ensemble des firmes. » C’est pourquoi la dimension politique déserte les Etats de l’Europe. La politique est chaque jour un peu plus sacrifiée sur l’autel de la liberté économique, de la liberté pour les entreprises (principalement pour les entreprises multinationales ou mondiales) d’organiser leurs stratégies, indépendamment des Etats, des frontières, des politiques nationales. C’est dans la plus grande indifférence que s’opère aujourd’hui une des plus importantes révolutions de toute l’histoire moderne. L’économie refoule la politique. Une économie interne dominée par les intérêts financiers étrangers n’est pas sans risques car elle oblige les états à toujours plus de réformes qui conviennent à l’intérêt des entreprises mondiales mais qui n’intègrent pas nécessairement le bien commun d’une nation. Les enjeux se focalisent autour d’une sorte de chantage à l’emploi entraînant le dumping aux exonérations, forçant les Etats à compenser par des mesures sociales (et donc, préalablement fiscales) les avantages qu’ils ont consentis aux entreprises. 

La planète aux mains des managers ?

 Le mécanisme de domination des entreprises est légitimé dans les théories de management. A preuve cette citation de Rosabeth Moos Kanter qui écrivait à propos de Peter Drucker dans un article de New Management (hiver 1985) :« Dans l’idée de Drucker, ce sont les impératifs de croissance qui poussent les organisations à franchir les frontières nationales à la recherche de nouveaux marchés. Le monde s’interconnecte par un réseau de relations commerciales entrecroisées, où les intérêts des dirigeants d’entreprises à la survie de leur multinationales l’emportent sur ceux des hommes politiques. » A terme, les managers internationaux se chargeront de gérer la planète et les Etats (ou ce qui en restera), seront astreints de suivre et d’appliquer les lois que les entreprises mondiales auront élaborées. Qu’on veuille voir les managers remplacer les politiques prouve qu’on ne sait plus distinguer le public du privé, le bien commun des biens individuels, le domaine de l’Etat de celui qui échoit normalement à la libre initiative des individus.Nous savons que l’addition des chiffres d’affaires des quatre premières entreprises françaises[10] dépasse le budget de l’Etat, pour seulement un peu plus d’un million de salariés. Mais il faut comparer ce qui est comparable : les quantités n’y font rien. Un chiffre d’affaires, aussi gros soit-il, ne donne aucune légitimité pour conduire la politique d’un Etat. Quand donc nous déciderons-nous à écouter la tradition des catholiques sociaux, la doctrine sociale de l’Eglise ? Quand donc pourrons nous renouer avec une saine et juste analyse de la société ?Laissons parler Marcel De Corte[11].Ses réflexions de 1975 n’ont pas pris une ride. La vraie philosophie ne vieillit pas  :« Cette distinction entre les essences et les finalités des activités humaines(…) doit se prolonger dans l’ordre économique et dans l’ordre politique. Il importe avant toute chose, dans la mesure du possible et contre l’impossible qui semble nous contraindre à baisser les bras, de restituer à l’Etat sa fonction politique de gardien du bien commun. »  

Distinction de l’économique et du politique

 L’Etat n’est pas à sa place et ne tient pas son rôle. Jusque dans les années 90, les gouvernements français se sont plus à nationaliser les entreprises et à se substituer à l’initiative privée. L’Etat concurrençait les patrons. L’idéologie derrière cette politique économique comparait « le privé », qui cherchait à faire moins pour gagner plus d’argent, au public dont le rôle n’était pas de faire des « profits » mais d’assurer un service public ou encore de permettre que la France soit dotée de certaines fabrications (voitures, ordinateurs), de faire en sorte qu’elle soit présente de certains domaines industriels. Aux yeux de certains, l’Etat paraissait avoir une vocation industrielle.  La production de biens économiques est destinée à la consommation, c’est à dire aux individus. C’est pourquoi, de par leur finalité, l’économie industrielle ou les domaines des services ou du commerce font partie du privé. L’Etat, dont le rôle normal est de faire de la politique, s’occupe du bien commun, qui est du domaine public.  

L’éviction du politique de la vie publique

 Depuis les années 90, on assiste au reflux de la tendance. L’Etat dénationalise. Est-ce à dire que les domaines respectifs du public et du privé sont désormais clairement définis ? Mais, pour avoir dénationalisé, l’Etat est-il désormais à sa place ? La réponse est non. L’Etat ne s’occupe peut-être plus de la fabrication de voitures ou de produits chimiques, mais il s’absorbe dans les problèmes sociaux de toutes sortes et s’investit dans de multiples problèmes catégoriels : intermittents du spectacle, insertion des jeunes sur le marché du travail, problème des retraites du privé et des fonctionnaires. Il va même jusqu’à négocier avec les syndicats de salariés du secteur privé en lieu et place des patrons. Tout se passe comme si le gouvernement voulait tenir à bout de bras une société déstructurée qui n’en peut plus, ne s’organise plus, une société dans laquelle rien ou presque ne marche sans l’Etat. L’individu est seul. Sans structures intermédiaires, la société n’existe plus. C’est ainsi que le social occupe le devant de la scène, au détriment de la politique. Nous sommes passés de l’Etat industriel à l’Etat social. Aristote concevait l’homme en tant que Zoon politikon. Depuis Adam Smith, relayé par Karl Marx, l’homme se conçoit comme Animal laborans. Telle est la mutation, tel est le changement de paradigme. C’est pourquoi notre critique du management des entreprises n’est rien d’autre que la critique des fondements de la société moderne qui mettent à mort la politique et la société civile en tant que communauté de destin. La domination de la logique de l’intérêt, des mécanismes de marché, de la concurrence entre les acteurs économiques disconvient au lien social qui se fonde sur la notion de bien commun, sur le droit et sur la notion de communauté. Le déclin du politique prive chaque peuple de son histoire, remet en cause son unité et son identité. Les jeunes ne savent plus qui ils sont parce qu’ils ne savent pas d’où ils viennent, ni ce qui a fait la France. La culture des peuples est chassée par les sous-cultures produites par les industries et le show-business. Tout devient «culture » : Jean Sébastien Bach, le rock, le rap, comme les blues jeans rapiécés ou le coca cola. On confond l’homme cultivé et l’homme «culturé ». La reconstruction du tissu social passe par la restauration de la notion de bien commun. Mais cette notion fait peur a ceux qui craignent le totalitarisme. Bien à tort, car le bien commun contient le respect de la nature humaine, le respect de la famille et de la propriété privée. Où trouver cet équilibre si ce n’est dans la doctrine sociale de l’Eglise ?

Conclusion

  Quelle évaluation donner de la stratégie du réseau d’un point de vue chrétien ? Et surtout que faire ? Repousser la doctrine sociale du libéralisme et retrouver celle de l’Eglise, bien sûr ! Nous retiendrons trois aspects. 

Dépersonnalisation du travail.

 Des procédures omniprésentes encadrent le travail. Leur finalité est de rendre l’entreprise partenaire transparente afin de permettre à l’entreprise pivot de contrôler son sous-traitant aussi bien que s’il était hiérarchiquement intégré. Mais ces procédures conduisent à la dépersonnalisation du travail. Elles recommencent l’erreur tayloriste en rendant difficiles et risquées les initiatives ou les contributions personnelles. La spécificité de l’entreprise sous traitante elle-même semble s’effacer. La transparence se marie mal avec les secrets de fabrication, avec les manières individuelles ou collectives de travailler qui sont issue de l’expérience et de la connaissance de l’outil de travail. Lorsque l’homme est astreint de respecter des procédures pour tout ce qu’il fait, il n’est plus le sujet de l’organisation, il en est l’objet.  

Mondialisation

 1.      La stratégie de croissance du réseau conduit à la mondialisation. La logique de l’entreprise est mondiale. Il semble que dans ce monde il n’y ait que deux possibilités :  ou grandir ou mourir. La concurrence, les changements incessants apportent une instabilité, une insécurité qui s’oppose au caractère social que doit recouvrir l’économie : permettre aux individus de subvenir de manière stable à leurs besoins, à ceux de leurs familles, et à entretenir la vie. « L’économie nationale, en tant qu’économie d’un peuple incorporé dans l’unité de l’Etat, est elle-même une unité naturelle, qui requiert le développement le plus harmonieux possible de tous les moyens de production, à l’intérieur du territoire habité par le même peuple. Par conséquent, les rapports économiques internationaux ont une fonction positive et nécessaire, bien sûr, mais seulement subsidiaire. Le renversement de ce rapport se présente comme l’une des grandes erreurs du passé ».[12]Avec l’entreprise en réseau, c’est tout le contraire : on pense d’abord en terme de marché mondial, car le but est de grandir pour ne pas mourir On organise ensuite, en fonction de ce préalable.  Or, la finalité de l’économie est sociale avant d’être mondiale. Actuellement, le système économique fonctionne comme une machine, comme une mécanique à laquelle l’homme est prié de s’adapter, alors qu’il conviendrait que l’économie et les machines s’adaptent à l’homme et à ses aspirations matérielles culturelles et spirituelles. Comme le rappelait Pie XII[13] : « La société humaine n’est pas une machine et l’on ne doit pas la rendre telle, même dans le domaine économique. Au contraire, il faut utiliser incessamment l’apport de la personne humaine et de l’individualité des peuples comme point d’appui naturel et primordial dont il faudra toujours partir pour tendre à la fin de l’économie publique, c’est à dire pour assurer la satisfaction permanente des besoins en biens et services  matériels, ordonnés à leur tour à l’élévation du niveau moral, culturel et religieux. »  Quel apport personnel, quelle utilisation de l’individualité des peuples permet l’usage de procédures uniformes ? On fabrique aujourd’hui à Prague des Tee-shirts sur les mêmes machines et selon les mêmes standards qu’à Londres, Chicago ou Lyon. On oublie trop souvent ce point essentiel de la doctrine sociale. S’il était respecté, le monde serait moins uniforme, les logements moins standardisés, l’habillement plus typique à chaque pays. Le monde serait plus humain, moins artificiel, moins superficiel. Mais la force de l’uniformisation et de la mondialisation, la force de la « pensée technocrate » est telle que de vouloir que l’homme soit le sujet de son organisation et de son environnement semble une utopie.  

Dilution des institutions

 Le libéralisme de l’entreprise en réseau se reconnaît à deux traits essentiels. Tout d’abord, il envenime la guerre économique, ou encore il l’instaure là où elle n’a pas encore lieu. Sous prétexte de liberté, on met en jeu des sommes considérables pour défaire un concurrent. On se rend la vie difficile en affirmant que la lutte est source de progrès. D’après l’idéologie en cours, c’est le meilleur qui gagne. Il y a dans ces pratiques une sorte d’eugénisme économique. Autant dire que la guerre en armes est une bonne chose, facteur d’inventivité et de progrès. Le deuxième trait propre au libéralisme c’est la croyance que l’institution bride la liberté. L’Etat est remis en question notamment dans sa vocation politique. C’est une des principales sources alimentant le désordre caractéristique de nos sociétés modernes fait de matérialisme, de narcissisme, d’individualisme et d’amoralisme. Non seulement l’entreprise n’a aucune vocation à conduire la politique, mais elle ne peut davantage servir de modèle à la société. Car la valeur d’une société se mesure aux effets qu’elle produit sur la famille, sur l’Etat et sur la propriété privée. L’entreprise libérale ne connaît que l’individu, ignore la famille. Elle ne connaît pas l’Etat : elle le dissout. Elle ne connaît pas la propriété privée, elle ne mesure que la consommation. « Ce que nous devons nier c’est que (les entreprises) puissent et doivent servir de modèle universel pour la conformation de l’ordonnance de la vie sociale moderne »[14]  

Pour reconstruire notre société, il faut se concentrer sur ce qui la constitue. Pie XII nous indique les axes qui doivent guider notre action en faveur du règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ.

« Sans aucun doute, l’entreprise industrielle moderne a produit, elle aussi d’heureux effets ; mais le problème qui se présente aujourd’hui est le suivant : un monde qui ne reconnaît que la forme économique d’un énorme organisme productif réussira-t-il également à exercer une heureuse influence sur la vie sociale en général et sur ces trois institutions que le créateur a données à la société humaine ? En effet, le mariage et la famille, l’Etat, la propriété privée tendent par leur nature à former et à développer l’homme comme personne, à le protéger et à le rendre capable de contribuer par sa collaboration volontaire et sa responsabilité personnelle au maintien et au développement personnel comme à la vie sociale. »[15]  



[1] Bien souvent, l’entreprise utilisatrice se trouve elle-même engagée et ne peut se permettre ni retard, ni le moindre changement dans les spécifications techniques. Tout le monde est enchaîné.

[2] Dimitri Weiss op. cit.  Pp. 47 –48.

[3] Anis Bouayad et Yan de Kerorguen La face cachée du management Voir journal La Tribune du 15 octobre 2004.

Ref. Internet article de Patrick Bouvard du 10 novembre 2004

[4] Michel Milgate Partenariats, externalisation et lean organisation, Maxima 2004, p. 241

Le vocabulaire ici employé révèle la pensée de l’auteur.

[6] Saloff Coste, Le management troisième millénaire, Guy Trédaniel éditeur, 1991

[7] Op cit. pp. 65-66

[8] Op cit.  pp. 167-168

[9] Taïeb Hafsi, Francine Seguin, Jean-Marie Toulouse, La stratégie des organisations, Les Editions transcontinentales Inc. 2000, 754 pages.

[10] Chiffres de 2001 CAHT en milliard d’€ TotalFinaElf : 105,3 ; Carrefour : 69,48 ; Vivendi Universal 57,36 ; PSA Peugeot Citroën : 51,66 ; soit un total de 283,8 Mrds. Budget du gouvernement 2003 (charges): 273,8 Mrds €

[11] Cet extrait de Marcel De Corte est tiré d’un article : L’essence du politique paru dans Itinéraires septembre octobre 1975 n°196.

[12] Pie XII Allocution aux membres du Congrès de politique des échanges internationaux : 7 mars 1948. Original : italien

[13] Radio message du 24 décembre 1952

[14] Pie XII idem

[15] Pie XII idem

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22 avril 2007 7 22 /04 /avril /2007 11:11
(INTERNATIONAL STANDARD ORGANIZATION) : On ne peut pas  étudier l'entreprise en réseau sans parler des procédures qualité. Nous nous limiterons aux procédures ISO qui sont les plus connues en France. Ce système de contrôle de la qualité rend l'entreprise fournisseur totalement transparente. Les contrats interfirmes, relevant du droit commercial, permettent de prévoir le contrôle qualité. Si bien que la maîtrise des ressources externes (achats et charges externes) s'avère parfois plus simple que celui des ressources internes. En effet, la relation externe, débarrassée des considérants humains et sociologiques propres à la relation interne de toute entreprise, rend la gestion des ressources plus « pure », plus « scientifique ». Le donneur d'ordres arrive à contrôler ses fournisseurs mieux que s'ils étaient chez lui, hiérarchiquement intégrés.L'ambition est d'arriver à une efficacité totale grâce au contrôle permanent de tous les éléments qui pourraient compromettre la réalisation des objectifs. Ce contrôle, ne peut-il pas conduire à la notion de pouvoir totalitaire ? C'est ce qui arrivera un nombre de fois important, sous couvert de la vertu « qualité » et du service au client. Le camouflage est excellent, il faut bien l'accorder. Mais cela ne change en rien la réalité.


REFLEXIONS SUR LES PROCEDURES ISO

Le mythe de la vertu et la vraie tyrannie

 Le management n'en est jamais à une volte-face près. Fin des années 80, sont apparues les procédures ISO au milieu d'édifices documentaires poussant comme des champignons et croulant sous des avalanches de papiers. Paradoxe apparent, car 10 ans plus tôt, fin des années 70 début des années 80, la mode était aux cinq zéros. Mode venant du Japon (lorsqu'il y a "cinq" le Japon n'est pas loin). La mode était donc à zéro défaut, zéro délai, zéro panne, zéro stock, et?zéro papier. Les cinq zéros, moins qu'une méthode, étaient d'ailleurs, (c'est souvent le cas au Japon) un révélateur de dysfonctionnements éventuels. Dans l'hexagone le mimétisme était de rigueur : il fallait donc lutter contre la « bureaucratie » envahissante de l'administratif dans les entreprises et, comme toujours, la presse notait : "La France est en retard". Les journaux spécialisés dans le management ne tarissaient pas d'éloges sur ces japonais qui arrivaient à communiquer et à gérer leurs affaires avec un minimum de papiers, gagnant ainsi en efficacité, en flexibilité et en réactivité. On racontait volontiers l'histoire de l'entreprise fantôme. Il s'agit d'une entreprise qui construisait des bateaux et qui, devant le succès de ses produits, avait été appelée à s'agrandir. Sa croissance s'était accompagnée de la nécessité de se doter d'une administration. L'entreprise prospérait à tel point qu'elle avait construit une tour dont plusieurs étages étaient occupés par les administratifs. Toutefois, au bout d'un certain temps, le marché devint plus difficile, si bien que l'entreprise décida que le remède consistait en une plus grande rigueur dans les procédures administratives et dans l'augmentation des contrôles sur les produits pour assurer une plus grande qualité. Les services administratifs furent donc étoffés. Peine perdue. Le nombre des bateaux allant à la mer était de plus en plus réduit, à mesure que les services administratifs grossissaient. On finit par agrandir les locaux et on construisit une seconde petite tour à côté de la première pour loger les nouveaux administratifs. Mais le surcoût engendré par toutes ces modifications obligèrent l'entreprise à serrer les prix sur les matières premières, sur les salaires, sur l'investissement, voire sur la recherche. Si bien qu'au bout d'un certain temps l'entreprise n'envoyait presque plus de bateaux à la mer. A la veille de sa fermeture les deux tours étaient peuplées d'administratifs qui passaient leurs huit heures de travail à s'envoyer des petits papiers. L'entreprise fantôme avait mangé l'entreprise réelle. Bref, telle était l'atmosphère lorsque apparut ISO, un 30 juin 1988, date à laquelle fut créée l'Association Française d'Assurance Qualité (AFAQ). 

En quoi consiste la procédure qualité ?

 Certaines entreprises exigent de leurs fournisseurs qu'ils soient certifiés ISO. Pour, rester sur le marché, les fournisseurs sont donc obligés de se faire certifier. Il n'est pas question de rendre la certification obligatoire par une loi votée par le parlement. Non, il s'agit simplement de correspondre à des normes décrétées par certaines entreprises. (Lesquelles ? Nous le verrons plus tard). Un certain nombre d'exigences sont requises pour être certifié. Tout d'abord on demande à la Direction de l'entreprise de faire une déclaration de politique générale par écrit expliquant quels sont ses objectifs et ses engagements en matière de qualité. Par ailleurs, l'entreprise doit préciser la manière dont elle s'assurera de la compréhension de cette politique par les salariés, de sa mise en ?uvre et de la manière dont elle sera entretenue. Au niveau de cet article il est inutile de préciser davantage. L'entreprise doit évidemment indiquer les différents rôles et responsabilités des personnes, identifier les besoins internes en matière de vérification, prévoir les moyens, les personnes à former, désigner un représentant de la Direction qui, à intervalles convenables, doit examiner le système qualité lui-même. Vient ensuite, l'édifice documentaire proprement dit, dont le but est de noter l'identification et la traçabilité des produits, la maîtrise des procédés, (pour éviter les déficiences ne paraissant qu'après l'utilisation du produit). ISO exige de mettre par écrit toutes les procédures d'organisation et de fabrication, de rédiger un manuel d'exploitation, des dossiers de postes, les modes opératoires, les consignes, le recueil des cahiers de consignes, le recueil des paramètres clés, etc. Il faut que les procédures dites "de qualité" ne garantissent pas la qualité du produit, mais le respect de certaines procédures. Par exemple, pour une entreprise de conseil, la procédure ne garantira pas la qualité des conseils, mais elle spécifiera par exemple que les prises de commandes ont une procédure spéciale selon qu'elles arrivent par fax, par Internet, par téléphone ou par courrier. La procédure garantira que l'entreprise fournisseur prendra contact avec le client pour négocier le domaine et la nature de l'intervention, qu'il enverra un devis dans un certain délai ; puis les procédures prévoiront une mise en forme du travail préparatoire tout en spécifiant que la commande transformée en ordre d'exécution sera établie en 4 exemplaires, un bleu, un blanc, un jaune et un vert, sans oublier de préciser où ces exemplaires seront classés, dans quelles armoires, pour combien de temps et ce qu'on en fera au bout d'un certain délai : archivage ou destruction. Les procédures couvrent l'étude, la réalisation, les modifications d'installation ; elles précisent l'état des produits à chaque étape du procédé et elles incluent les procédures concernant la formation du personnel. Pour la fabrication, il faut ajouter les procédures de contrôle et d'essai et celles concernant la maîtrise du produit non conforme. Ce qui fait pas mal de documents, car une fois toute cette procédure mise par écrit, ce qui consiste à mettre noir sur blanc tout ce qu'on fait, il y a une autre série de documents, destinés à prouver qu'on fait bien ce qu'on a écrit, et qui sont à remplir par tout le personnel au fur et à mesure de l'exécution du travail. Devant tant de papiers, il devient nécessaire d'administrer l'administration. Autrement dit, on élabore des procédures d'identification, de collecte, de classement et d'archivage des documents, de leur tenue à jour et de leur destruction (sans oublier les procédures et documents concernant les sous-traitants).  

Conséquences des procédures ISO

 Précisons qu'il n'est pas dans notre propos d'aller contre tout mouvement d'organisation et de condamner les procédures en tant que telles. Il est certain que lorsqu'une entreprise n'est pas bien organisée, qu'il n'y a aucun indicateur (par ex. nombre d'heures passées en moyenne sur des interventions, ou quantité de matière utilisée par unité de production) quand il n'y a aucune mesure, aucune traçabilité, la gestion est déficiente et les responsables gesticulent en toutes directions avec peut-être l'illusion de faire preuve de beaucoup de flexibilité alors qu'ils ne font que gérer des affaires au coup par coup, sans hiérarchie d'importance, sans pouvoir prévoir quoi que ce soit, sans aucune visibilité. L'entreprise a toujours été et doit rester un lieu où le travail est organisé.Précisons encore que les procédures donne au donneur d?ordre un recours vis à vis de fournisseurs non scrupuleux. De même, lorsqu'il s'agit d'entreprises où la sécurité est très importante (par ex. entreprises classées seveso ou entreprises travaillant avec l'atome), les procédures sont bien évidemment nécessaires et logiques, vu le contexte. Leur existence est justifiée par les conséquences incalculables que pourraient avoir les maladresses, les initiatives intempestives, les imprudences ou les négligences coupables. Mais il ne faut pas généraliser. Une pile nucléaire présente tout de même plus de risques que les fabrications de bouchons de radiateurs de voitures ou de robinets de salles de bains. Les entreprises certifiées ISO souffrent d'une inflation documentaire. Le travail de la maîtrise se passe à remplir toujours plus de papiers au détriment des conseils techniques et de l'encadrement de terrain qui devraient rester parmi les tâches primordiales de ce personnel. Ces conséquences sont-elles mineures ? Il faut y regarder de plus près.  

Examen des conséquences

 Tout le monde comprend qu'une entreprise doit travailler de manière fiable. Son produit doit pouvoir inspirer confiance. La finalité de l'entreprise est de satisfaire le client. Il est normal que l'entreprise cherche, par la qualité, à renforcer son image de marque et à préserver l'emploi. Mais il faudrait que ces critères soient atteints en renforçant le sens du métier et la conscience professionnelle chez les opérateurs responsables. Qu'en est-il ? 

Diminution ou disparition du sens moral

 En raison des procédures, la qualité se met en place à travers un dispositif administratif contraignant ; l'aspect bureaucratique et paperassier prend le dessus ; on perd de vue le côté créatif du travail. L'apport de l'homme est problématique. Allant d'entreprise en entreprise nous avons trop souvent entendu : "On est mis dans des cases ; nous sommes devenus des entités interchangeables". Ou encore plus grave : "Je sais que la procédure est fausse, mais je ne le dis pas, sinon le Directeur de production ne serait plus d'accord avec moi, car il ne jure que par la procédure". Ou encore, nous nous rappelons la remarque amère d'un responsable d'atelier nous disant : "Depuis qu'on est sous les procédures ISO on ne sort plus le produit à temps".  Explication : plus il y a de règles externes, plus il y a de garde fou, moins les gens se sentent responsabilisés et moins ils mettent de normes dans leur propre conscience. Ou bien les personnes intériorisent des normes et des règles de travail et les choses vont bien ; ou bien les règles sont externes et il y a davantage de laisser-aller, chacun s'en lave les mains. La procédure remplace la conscience professionnelle, la jugeote, la communication entre les hommes. Les responsables ne prennent plus de risques. Ils appliquent les procédures. L'homme ne compte plus. Loin d'être un facteur de progrès moral, les procédures engendrent morosité, lassitude, et suscitent des comportements négatifs. De même qu'autrefois le travail à la chaîne a produit les grandes masses ouvrières anonymes et syndiquées, de même la bureaucratie "qualiticienne" fragilise l'entreprise. Avec les procédures ISO, l'excès de zèle est le moyen le plus simple de paralyser la production. Exemple de comportement déviant : un de mes collègues (et ami) était en mission dans une entreprise et devait commencer assez tôt le matin. Il commençait toujours la journée en allant voir les maîtrises déjà en poste. Il regarde un jour ce qu'ils étaient en train de faire et leur pose la question : ces papiers que vous remplissez sont les documents correspondant à la fabrication d?hier ? - Réponse des maîtrises : Non, c'est la fabrication d'aujourd'hui.- Mon collègue : Comment est-ce possible, puisque la journée est à peine commencée ?- Un maîtrise : On préfère remplir le matin en arrivant. Comme ça, on peut partir à l'heure le soir !- Mon collègue : Mais si ce que vous remplissez ne correspond pas à la réalité ?- Le maîtrise : L'important, c'est que la production sorte et que les quotas soient respectés. Maintenant, si on note tous les aléas de production, les bureaux vont demander des tas d'explications. On ne s'en sortira pas.  D'aucuns pensent peut-être que notre exemple décrit des agents de maîtrise particulièrement lamentables ? Il n'en est rien. Il s'agit d'agents de maîtrise qui redoutaient par-dessus tout que les procédures leur compliquent la vie et qui attendaient que l'organisation la leur simplifie.  Le vrai est que l'excès de procédures dépersonnalise le travail. Cette dépersonnalisation engendre, d'une certaine façon, l'anonymat, la non-implication, l'indifférence, voire la triche. Puis la méfiance fait son apparition. Devant le désengagement et les comportements plus ou moins frondeurs, l'entreprise aura malheureusement tendance à renforcer les procédures et les contrôles. C'est le cercle vicieux. Il ne faut pas dépersonnaliser un peu plus le travail, il faut au contraire le rendre plus personnel afin de donner aux gens, avec la faculté d'initiative, une responsabilité réelle, le sens du métier. Nous connaissons certains professionnels de la qualité qui s'insurgeraient à la lecture de cet article et qualifieraient nos réflexions de "trop hâtives" et de parti pris. Ils nieraient en bloc les inconvénients des procédures. Sans rire, ils nous feraient remarquer qu'un système qualité prévoit des procédures pour changer de procédures et que l'initiative reste toujours permise, voire réclamée. A les entendre, l'homme reste "acteur". Ce n'est pas notre expérience. Dans l'immense majorité des cas, les procédures sont un frein. Pour la simple raison que personne n'a envie de remettre en cause ce qui a coûté des milliers d'heures de travail et pour les entreprises moyennes environ 1 million de francs (150.000 euros), car tel est le prix moyen d'une certification valable uniquement trois ans. Un agent de maîtrise n'a pas souvent l'autorité nécessaire pour dire à son administration, devenue bien impersonnelle, qu'il faut changer les procédures sur tel et tel aspect. Tout le monde est conscient du problème, et sans que cela soit un comportement universel, dans beaucoup d'entreprises on attend que l'autre prenne l'initiative de changer la procédure, auquel cas tout le mode en profite pour faire changer ce qui lui paraît nécessaire ; c'est ainsi que celui qui a pris l'initiative de faire changer une procédure peut se retrouver avec plusieurs semaines de travail pour mettre au point de nouvelles procédures satisfaisant tous les desiderata. 

Diminution ou disparition du rôle hiérarchique

 Autre inconvénient, la qualité transforme essentiellement l'activité d'encadrement en procédure de contrôle des personnes. Il peut sembler que les procédures qualité permettent de sortir des produits qui fonctionnent bien tels que des voitures nouvelles, des presses plus performantes, etc. On pense aussi que les fournisseurs qui en prenaient trop à leur aise sont maintenant contraints à plus de sérieux. Tout cela n?est pas faux. Le contrôle a toujours existé et existera toujours. Mais, ce qui est en question, c?est le rôle central qu?il joue. C?est son extension à tous les niveaux. On en retire l'idée que la qualité s'obtient grâce au contrôle ; alors que, en vérité, la qualité s'obtient par l'effort et l'intelligence dans la recherche, par le savoir-faire et le professionnalisme dans l'exécution et par la conscience professionnelle de tous. Autant de choses qui ne se mettent pas en procédure : le contrôle n'a jamais été un moteur. Par contre la compétence du personnel, sa capacité à travailler en équipe, à se faire profiter mutuellement des trouvailles des uns et des autres, l'envie de bien faire ne sont pas mesurables, ne peuvent pas se traduire dans des procédures. C'est pourtant là que réside le véritable moteur de la qualité. En chimie il y souvent des variations imprévisibles de la matière qui peuvent être corrigées par le savoir-faire des ingénieurs en dehors de toute procédure. Par exemple pour obtenir une certaine qualité de verre, c'est à la suite de nombreuses années d'expérience que l'ingénieur saura quel produit ajouter dans le four pour arriver aux spécifications recherchées. L'homme d'expérience sait que ce qui est mis dans les procédures suppose que les choses se réalisent toujours de la même manière. Or, très souvent, le vécu professionnel démontre qu'il n'en est rien.Bien avant ISO, l'entreprise avait déjà l'expérience de l'écart plus ou moins grand existant entre un travail prescrit dans un bureau d'étude ou un bureau des méthodes et le travail réalisé en production. Tout le monde sait que le planning prévu la veille risque d'être chamboulé le matin dès la prise du travail par des tas d'imprévus. Tout le monde sait que la meilleure manière de bloquer un système, c'est d'automatiser à la fois la prévision et l'exécution. Le militant ISO répondra imperturbable que les systèmes qualité doivent prévoir des procédures en cas d'imprévus. On n'en sort pas.     

Taylor is back !

 Il faut bien noter que les procédures ISO marquent un retour à la mentalité tayloriste.1°) En concevant en amont une organisation intangible et en aval une exécution, on reconstitue la fracture conception / organisation d'un côté, exécution de l'autre, même si, dans la phase amont, on a soi-disant associé le personnel.2°) Retour au taylorisme, par le fait que la hiérarchie est de nouveau une simple hiérarchie de contrôle et de surveillance, dépourvue de pouvoir de décision. La procédure décide, le responsable, non.3°) Retour au taylorisme par la dépersonnalisation du travail. L'homme, obligé de suivre strictement et d'une manière répétitive les procédures, ne fait plus un travail personnel. Son ?uvre ne lui appartient plus et beaucoup de problèmes touchant à la démotivation trouvent ici leur source. Nous nous rappelons le témoignage de ce technicien supérieur nous disant : "Dans mon entreprise le patron nous a dit : Je ne veux plus qu'un seul projet puisse être identifié par le nom de quelqu'un". Mais comme la traçabilité est partout on saura identifier qui, à quelle heure et sur quel poste, a fabriqué tel produit défectueux. Le système qualité marchera pour relever toutes les anomalies. Il n'est pas prévu qu'il fonctionne dans le sens inverse. La rédaction des procédures tend à transformer le travail en un programme d'ordinateur avec tous les risques de "plantage" qui l'accompagnent. Non seulement beaucoup de travaux perdent tout intérêt pour l'opérateur, mais cet abus paperassier et tatillon interdit tout apport de soi, toute improvisation, toute créativité. 

Diminution ou disparition de la propriété de métier

 Autre conséquence : quid du secret de fabrication ? Telle grosse entreprise fabricant des voitures envoie à titre plus ou moins permanent chez un fabricant de ressorts pour amortisseurs un technicien chargé de contrôler sur place le respect des procédures de son fournisseur. Il a le droit de regard sur tout, il connaît tout. Un fabricant de voiture n'a pas qu'un seul fournisseur. Qui l'empêche de réclamer à un fournisseur B l?application de certains procédés employés par un fournisseur A, au nom de l?impératif d?avoir les mêmes garanties ? Il peut signifier au fournisseur de nouvelles exigences, à propos de la matière première, de son traitement (température de four, temps de cuisson, mode de refroidissement), etc.? Le fournisseur A voit ainsi son savoir-faire transiter chez son confrère B. La raison du réseau est toujours la meilleure. Parfois, on organise même, entre membres d?un même réseau, des séances de réflexion et d?échanges « des bonnes pratiques ».  La petite entreprise perd le secret de fabrication mais la grosse entreprise risque aussi de perdre le métier parce qu'elle a de plus en plus recours à la sous-traitance. Exemple, chez Thomson, dans certains secteurs, quasi toute la production est externalisée, l'emboutissage chez Renault, la fabrication de pylônes à EDF, ainsi que la révision des arrêts de tranches dans les centrales nucléaires.  Le métier disparaît également dans la petite entreprise sous-traitante, où la grosse entreprise impose un contrôle à la petite et où l'homme de métier est transformé en exécutant. L'expérience et la compétence de l'homme de métier sont remplacées par la procédure. Ici encore, on peut noter que la vie morale nécessaire dans la profession comme partout ailleurs, est niée et transformée en une vie purement technique et mécanique. En conclusion l'idée fondamentale demeure la restauration de la notion de métier. Celui qui a un métier est responsable. Il apporte sa caution, il édicte ses règles, il est propriétaire de ce qu'il fait parce qu'il est maître de ses initiatives. La vie morale au travail (où est le mal ? Où est le bien ?), ne peut exister sans la responsabilité et la responsabilité ne peut exister sans la notion de métier. L'homme soumis aux procédures est un homme technique, faisant partie d'un système technique, qui ne se détermine en rien, n'ayant aucune initiative ni point de vue personnel. Il en arrive à se comporter, tout comme un ordinateur, comme un être parfaitement amoral.

(Fin de la première partie)

Antoine Marie Paganelli

 

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22 avril 2007 7 22 /04 /avril /2007 11:02
Nous avons jusqu'ici traité des procédures ISO comme d'un phénomène apparu à la fin des années 80 et qui s'imposerait aux entreprises tel une fatalité, un signe des temps … il faut vivre avec son époque, et c'est ainsi que la majorité des acteurs le reçoivent. Notre démarche critique doit bien sûr aller plus loin. C’est pourquoi nous proposons d'examiner maintenant les structures et le fonctionnement des organismes détenant l'autorité en matière de qualité. Il est aisé de comprendre que les procédures qualité servent en fait les grosses entreprises qui dominent les réseaux.

    LA BUREAUCRATIE
EN TANT QUE POUVOIR

 Nous avons jusqu'ici traité des procédures ISO comme d'un phénomène apparu à la fin des années 80 et qui s'imposerait aux entreprises tel une fatalité, un signe des temps … il faut vivre avec son époque, et c'est ainsi que la majorité des acteurs le reçoivent. Notre démarche critique doit bien sûr aller plus loin. C’est pourquoi nous proposons d'examiner maintenant les structures et le fonctionnement des organismes détenant l'autorité en matière de qualité. Il est aisé de comprendre que les procédures qualité servent en fait les grosses entreprises qui dominent les réseaux.  Tout d'abord ISO est présenté comme un phénomène inéluctable dû à la mondialisation. Un quotidien du soir, se faisant passer volontiers pour un journal de référence, alors qu'il n'est que journal d'opinion, d'ailleurs de gauche, plaidait dans un de ses dossiers du 29.6.1994 pour la normalisation ISO réputée inévitable malgré quelques dérives bureaucratiques ou quelques dissonances entre acteurs. "Malgré ses imperfections, déclarait-il, il n'est pourtant guère possible de faire l'impasse sur la normalisation, qui se révèle chaque jour plus stratégique". Et comme toujours, la France est en retard ! "Les entreprises françaises doivent donc donner un coup d'accélérateur, insistait le quotidien, malheureusement, la normalisation est trop souvent vue comme un carcan technologique. Les entreprises la considèrent encore comme une dépense de fonctionnement et non comme un investissement rentable." Etc. A la décharge du journal, il faut noter que les procédures qualité n’ont jamais été présentées publiquement pour ce qu’elles sont : l’outil intégrateur des entreprises en réseau. Et notre quotidien de gauche d'appeler à la grande foire internationale et aux échanges mondiaux, croyant sans doute au développement de relations nationales et internationales classiques.  Nous avons en notre possession le dossier de présentation de l'AFAQ des débuts de la normalisation. Le credo internationaliste mondial est à toutes les pages. "La certification est basée sur l'engagement que prend l'entreprise d'appliquer un référentiel … Ce référentiel est une norme éditée par l'ISO et reprise par les Communautés Européennes". "Au plan international, cette orthodoxie facilitera la conclusion d'accord avec des organismes certificateurs analogues au profit des relations entre clients et fournisseurs"(…) "La certification d'entreprises est par ailleurs un des outils du développement économique international car l'assurance qualité est un langage général permettant aux différentes industries de se rapprocher et de dialoguer, sans tenir compte des frontières". "L'AFAQ espère ainsi apporter sa pierre à la construction de l'Europe, au développement des échanges internationaux".  Il ne suffit pas d'étudier le phénomène ISO tel qu'il se déroule concrètement dans l'entreprise, sans se demander qui est à l'origine du phénomène, dans quelle volonté certains l'ont promu et quels intérêts il sert. Il serait même catastrophique de prendre ISO uniquement avec bonne volonté, en jetant un soi-disant "regard chrétien" sur les exigences qualités et en prétendant devoir s'y adapter par la remise en question de ses propres pratiques, comme on pourrait le faire dans une retraite spirituelle ! Ce genre de regard chrétien aboutit à faire servir objectivement les catholiques d'instruments manipulés par la subversion mondialiste. Notre regard chrétien à nous est un regard critique posé sur les choses, soucieux du respect de la nature humaine, de la finalité du travail et du droit de cité de la morale et des intérêts spirituels.  On comprendra qu'il ne s'agit pas de baptiser ISO sans examen, après avoir simplement étudié les structures qu'il met en place et son fonctionnement.   

Qualification des auditeurs AFAQ

 Intéressons-nous à la manière dont on peut devenir auditeur AFAQ chargé de préparer le dossier des entreprises postulantes à la certification. "D'abord, ces personnes doivent avoir suivi une formation, laquelle n'est accessible qu'avec un niveau Bac + 4 ou dix ans d'expérience professionnelle dans l'entreprise ; plus deux ans minimum de mise en pratique d'un système qualité et de rédaction de procédures. Muni de ces prérequis, les candidats sont sélectionnés par le centre de formation, le formateur lui-même et l'AFAQ.¨ Deuxième étape : la formation : vingt jours pour avoir connaissance des normes, des pratiques d'audit et de l'analyse des manuels Qualité.¨ Troisième étape : présentation à un examen. Jusqu'ici, tout paraît acceptable.¨ Quatrième étape : Incorporation des stagiaires reçus à l'examen aux équipes d'auditeurs AFAQ. Participation à trois audits, chaque audit donnant lieu à la rédaction d'un rapport.¨ Cinquième étape : Les (toujours) candidats pourront éventuellement être utilisés en tant qu'auditeurs par l'AFAQ sous l'autorité de responsables d'audit reconnus. Après trois nouvelles missions, la Commission de Qualification des Auditeurs (CQA) pourra éventuellement donner l'autorisation de les utiliser en tant que responsables d'audit.¨ Sixième étape : le marathon s'achève par la soutenance d'un mémoire d'activités à l'AFAQ. Un document portant sur la formation pratique à l'audit précise : Après cinq missions jugées satisfaisantes par les comités, et après avis favorables de la CQA, les candidats seront certifiés par l'ICA (Institut de Certification des Auditeurs). Après trois nouvelles missions, la CQA pourra donner l'autorisation de les utiliser en tant que responsables d'audit. Avant la première mission comme auditeur, ils seront inscrits en travailleurs indépendants et l'AFAQ signera alors un contrat sur une période de un an, leur garantissant un minimum de 60 jours d'audit. Le contrat sera renégociable chaque année pour une nouvelle période de un an. S'il est reconduit, il portera toujours sur au moins 60 jours et au plus 160. L'AFAQ pourra bien sûr à tout moment résilier ce contrat si le prestataire de service ne respecte pas le code de déontologie des auditeurs AFAQ ou si les prestations fournies ne sont pas jugées d'un niveau de qualité suffisant ». C'est dire que les divers degrés hiérarchiques de l'AFAQ auront tout le loisir de juger le candidat quant à sa mentalité et sa conformité morale aux buts de l'organisme.Le document de présentation déjà cité précise :"Le respect des normes est un point fondamental pour l'AFAQ" et ailleurs " L'auditeur doit "prêter toute son attention et apporter un soutien total au processus d'audit, …demeurer fidèle à l'objet de l'audit, sans crainte ni faveur … rester ferme dans ses conclusions en dépit de toutes pressions exercées pour y apporter des modifications quand celles-ci ne sont pas fondées sur des preuves". Il est normal qu'un consultant s'en tienne à l'objet de sa mission ; mais nous remarquons ici l'insistance avec laquelle ce document voudrait transformer l'auditeur en représentant et militant des normes ISO. L'entreprise  a vraiment chez elle beaucoup plus qu'un auditeur, mais plutôt un Inspecteur du troisième bureau auquel l'AFAQ a fait suffisamment de recommandations pour qu'il n'ait aucun état d'âme, d'autant que l'Auditeur sait qu'il restera toute sa carrière comme un oiseau sur la branche (contrat annuel révisable unilatéralement par l'AFAQ), l'AFAQ cherchant par ailleurs a obtenir le monopole de la certification. 

Structure AFAQ : une petite usine a gaz

 L'AFAQ est constituée, au bas de la pyramide, par des Comités de certification composés essentiellement  de représentants sectoriels du patronat (mécanique, chimie, pétrole, agro-alimentaire, etc.). Il est noter que le comité doit être composé, suivant la norme, de représentants des différents intérêts engagés dans le processus de certification, sans prédominance d'un seul intérêt. Autrement dit, on demande aux représentants de ne pas prédominer, ce qui équivaut à se neutraliser mutuellement et à s'entendre sur des procédures complètement neutres ne touchant pas au cœur des savoirs et du travail. Un deuxième palier est le Comité d'accréditation qui examine les recours contre les décisions de l'AFAQ, et un troisième palier qui est le Conseil d'administration qui accrédite lui-même les Comités de certification sur proposition du Comité d'accréditation (deuxième palier).En somme, tout le monde surveille toute le monde, tout le monde contrôle tout le monde : les soviets n'avaient rien inventé et sont surpassés. 

Pour qui travaille l'AFAQ ?

 Pour les grandes entreprises. On trouve parmi les membres de l'AFAQ (qui, faut-il le rappeler, n'est qu'une Association Loi de 1901), dans le Collège B des entreprises, des sociétés telles que EDF (d'Etat), GDF (d'Etat), SNCF (d'Etat), CEA (d'Etat), Elf (d'Etat à l'époque), La Poste (d'Etat) plus certaines entreprises, bien sûr au-dessus de tout soupçon : Esso (capital étranger) ; Exxon (capital étranger), IBM (Capital étranger), Shell (capital étranger), etc. On trouvera aussi quelques entreprises françaises, telles que L’Oréal, PSA, Renault, mais uniquement des entreprises importantes, de gros acheteurs, qui, à eux tous dominent le marché interentreprises. Toutes les P.M.E. sont tributaires de ces géants. Quel minotier, quel fabricant de produits agro-alimentaires peut vivre sans Danone et sans Nestlé ? Danone et Nestlé sont dans le collège AFAQ. L’économie qui est en France est entièrement réglementée par ce groupe de grosses entreprises. Il faut toujours revenir à la finalité de cette concentration de pouvoirs qui s'impose à tout le tissu économique en France. Il s’agit de faciliter, pour les grandes entreprises, l’externalisation de leurs activités. Ce qui permet de faire supporter le stock aux sous-traitants, de faire supporter le risque d'investissement des machines aux sous-traitants, de faire supporter la compression des prix aux sous-traitants. La grande entreprise, elle, si elle reste maître du jeu, peut mettre en concurrence, grâce aux normes internationales, telle entreprise travaillant en France, avec telle autre au Portugal, en Grèce ou en Pologne. C'est ce qu'a soutenu et ce que soutient encore le Journal le Monde qui pleure des larmes de crocodile sur les délocalisations et l'augmentation du chômage. Au total et en conclusion, un pouvoir économique énorme est apparu sous le signe de la vertu et de la sévérité des normes qualités. Jamais aucun Etat n'aurait osé aller si loin dans les procédures bureaucratiques et tatillonnes. Jamais aucun Etat, pas même l'Etat soviétique, n'a réussi à rendre si fiers les sujets qu'il asservit : quelle entreprise n'affiche pas qu'elle est certifiée AFAQ ? Jamais le monde économique n'a produit autant de réglementations ni autant d'orientations, en définitive politiques, concernant le pays entier, voire la planète, sans avoir aucun mandat d'aucune sorte. La technocratie bat son plein. 

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22 novembre 2006 3 22 /11 /novembre /2006 10:24
Dans les stratégies de croissance, il est classique de distinguer la croissance interne, qui consiste à développer l’entreprise à mesure qu’on gagne des parts de marché, et la croissance externe, qui consiste à acheter d’autres entreprises pour s’adjoindre leurs produits et acquérir une position dominante sur le marché. Il existe encore une autre stratégie : celle de l’entreprise en réseau qui ne se ramène ni à la croissance interne, ni à la croissance externe.
C’est une stratégie d’alliances ou de contrats avec d’autres  partenaires  permettant à une entreprise d’accéder aux équipements et aux compétences qu’elle convoite, sans recourir à l’investissement ni à l’achat de nouvelles structures. La stratégie du réseau que nous voulons étudier diffère d’un simple groupe industriel ou commercial comportant des entreprises complémentaires. Elle ne se confondra pas non plus avec l’édification d’une chaîne de magasins ou de restaurants. Enfin, elle se distingue nettement des regroupements d’entreprises comme il en existe par exemple dans le Nord de l’Italie, regroupements plus ou moins formels, qui cherchent à mieux répartir leurs efforts pour affronter un marché difficile et changeant.

STRATEGIES DE CROISSANCE
 

Organisations et stratégies

 Les stratégies de croissance tiennent une place importante dans le management. Elles se conjuguent avec les théories d’organisation, mais s’en distinguent aussi : selon les cas, une politique de croissance peut être accompagnée de beaucoup d’organisation ou de désorganisation, tandis qu’une organisation très rationnelle peut n’être accompagnée d’aucune croissance. Le taylorisme introduit la pensée technique dans l’organisation du travail et met la productivité au premier rang [1]. Le mouvement humaniste[2] veut « réhabiliter » le facteur humain. Il s’agit principalement de donner de l’entreprise une image émancipatrice que le taylorisme compromet gravement. L’effort idéologique des théoriciens du courant humaniste consiste à marier le matérialisme de la productivité avec la promotion de l’homme. Taylorisme et humanisme imprègnent l’organisation interne des sociétés. Le management participatif[3] doit son développement à des considérations d’adaptation de l’entreprise au marché. Il s’agit de trouver la souplesse, l’adaptabilité, la réactivité nécessaires pour développer des produits sur un marché versatile et déjà saturé.  Mais l’entreprise se soucie également de grandir. Le réseau est une stratégie de croissance.

 Comme à l’ordinaire, nous ne ferons de l’entreprise en réseau qu’une présentation succincte, limitée à notre propos : comment évaluer, d’un point de vue chrétien, le management propre à l’entreprise en réseau ou, plus précisément, le management globalisé ?[4] Pour plus de précisions techniques, nous renvoyons aux auteurs que nous citons dans la suite de l’ouvrage.  Parmi les idées dominantes de ce mode d’organisation, on trouve la réduction des temps, mais aussi la réduction de l’espace. Par ce mode d’expansion, le globe terrestre se rétrécit : Air France fait traiter certaines de ses données informatiques en Inde ; Thomson répond à un appel d’offre suédois et décide d’abandonner tel sous-traitant français pour lui préférer une entreprise portugaise. L’informatique, les technologies de communications sont les outils clés de cette mondialisation qu’on appelle « globalisation ». Autre référence constante : le changement. Plus il y a de changements, plus les solutions arrêtées sont provisoires. Les modes d’organisation montrent rapidement leurs limites. Puisque tout change, on hésite à s’engager dans des frais importants. On préfère s’adresser à l’extérieur afin de mettre à profit les compétences et les capacités qu’on n’a pas chez soi.  La stratégie du réseau se découvre d’abord dans les techniques d’organisation. Schématiquement, on peut dire que plusieurs sociétés cherchent à reproduire ce qu’une firme pourrait tenter de réaliser en interne. Pourquoi le recours à plusieurs ? Dans quelle logique ? Pour faire face à quels problèmes ? Nous répondrons à ces questions en rappelant ce qu’on recherche à travers les organisations productives.  

Logiques d’organisation[5]

 Nous nous plaçons dans le contexte actuel, où les produits sont complexes, et les marchés saturés (produits électroménagers, téléphones, véhicules personnels, etc.). Pour vendre, il faut renouveler le produit. Depuis un demi-siècle, on transforme, on modifie les fabrications de plus en plus vite. On innove parfois. On présente souvent autrement (ex : les rasoirs, les crèmes à raser, etc.) C’est la condition pour continuer d’exister.La diversification et le changement des produits, poussés à un certain degré, conduisent l’entreprise aux limites possibles de la réactivité. ¨  La production a tendance à se paramètrer sur les commandes (flux tiré) pour suivre au plus près les évolutions de la demande du marché. La production sur stocks n’est pas assez souple et présente de grands risques.[6]¨  Les séries sont courtes. Il se peut que le planning de production change plusieurs fois par jour en fonction de la demande (par exemple la fabrication de produits de beauté suit l’évolution des stocks dans les grandes surfaces. Un simple coup de téléphone du commercial visitant les points de vente peut déclencher immédiatement l’arrêt d’une fabrication en cours et le démarrage d’une autre fabrication pour répondre à sa demande. ¨Il s’ensuit un temps très variable d’utilisation des installations. Il dépend, entre autres, des commandes et du nombre de changements de fabrication qui nécessitent nettoyages et réglages des machines, lancements de préséries, etc. « L’effet de série » n’est plus aussi assuré.¨  L’effort porte donc sur la réduction des temps de mise en opération appelés temps non-opératoires. Mais cette réduction atteint vite ses limites : le SMED[7] une fois mis en place, il n’y a plus de gain spectaculaire à escompter. Cette organisation de production recherche un avantage par la diversification et la réactivité. Mais, là encore, il y a des limites.¨ Dans nos pays industrialisés, l’imprévisible et l’incertitude sont caractéristiques de la vie économique. Les entreprises deviennent plus complexes, doivent innover et réagir rapidement. Le manque de visibilité rend très vulnérables les entreprises organisées autour de circuits de production automatisés, correspondant à des investissements lourds. La tendance générale des organisations à la diversification et à la flexibilité se renforce.Une entreprise, à elle seule, peut avoir du mal à satisfaire ces exigences à cause des à-coups trop forts et trop fréquents. Les limites de la réactivité et de la flexibilité orientent vers des ressources externes spécialisées. Cette logique correspond mieux à l’organisation en réseau où les contraintes sont réparties sur plusieurs et où les acteurs peuvent intervenir à la demande. La croissance des entreprises passe par une réponse rapide aux marchés. D’où la recherche à l’extérieur d’équipements et de savoir-faire innovants. Une seule entreprise ne peut pas tout posséder et tout faire évoluer en interne. Le recours aux alliances interentreprises aboutit à la stratégie de réseaux. Outre la recherche de la diversification, la stratégie du réseau est un moyen d’accroître rapidement ses capacités de production et de diffusion, sans passer par les contraintes financières classiques : recours aux banques et investissements lourds. L’entreprise pivot – celle qui domine le réseau – réserve sa puissance financière aux dépenses plus névralgiques et garde toute la souplesse et la flexibilité désirable dans un marché versatile et imprévisible.

LES THEMATIQUES DE L’ORGANISATION EN RESEAU.

Diminution des temps de cycles

 La durée de vie des produits ne cesse de décroître. Une étude de 1991 [8] notait que pour l’informatique, la moitié des fournisseurs de systèmes proposaient des produits dont l’espérance de vie, en 1985-1986, était supérieure ou égale à 36 mois. Elle était ramenée en 1991à une durée de vie inférieure à 18 mois. Cette tendance générale n’a fait que se confirmer. Les mêmes auteurs expliquent la nécessité du développement en parallèle, c’est à dire à plusieurs : « Une étude récente estime que 75% du coût réel d’un produit sont déjà déterminés à la phase initiale de conception, qu’un dépassement de 50% sur un budget de développement entraîne une perte de bénéfice de l’ordre de 3,5% et qu’un retard de 6 mois lors de l’introduction sur le marché diminue les recettes de 33%. Comme nous l’avons indiqué auparavant, une autre étude conclut que les cycles de développement mieux conçus sont à même d’offrir à une entreprise des gains potentiels de 40 à 60% supérieurs »[9] Cette vue des choses marque l’importance du temps : mieux vaut ne pas avoir de retard et dépasser un budget que le contraire. Par ailleurs, la part de temps de la production devient relativement moins importante dans l’ensemble du cycle global. Les mêmes auteurs décrivent l’effort de l’entreprise allant dans le sens de la réduction du cycle total, c’est à dire de la conception à la consommation. Pour réduire ce cycle de 10 à 20% il faut se lancer dans des changements révolutionnaires qui remettent en question les concepts mêmes de production, de distribution ou de livraison. D’où le recours à plusieurs partenaires se coordonnant entre eux. 

Rétrécir l’espace

 Un autre thème de l’entreprise en réseau porte sur les efforts pour rétrécir l’espace. Les moyens de transport, les nouvelles technologies de communication permettent de gérer une entreprise à distance et les délocalisations sont là pour montrer la facilité avec laquelle une Direction Générale peut gérer et contrôler un établissement n’importe où sur la planète. Mais l’entreprise préfère de beaucoup avoir sa production à proximité des clients, afin de raccourcir encore le temps entre la commande et la livraison. Par ce moyen, on peut entretenir des relations plus conviviales, mieux connaître les besoins et les attentes du consommateur, mieux évaluer les risques et réagir plus rapidement. D’où la mise en pratique du précepte mondialiste « think global, act local[10] ». Les plans d’investissements s’établissent à partir d’une évaluation de la consommation à l’échelle mondiale. Puis l’entreprise met tout en état pour livrer ses produits là où ils seront consommés. Les freins ou les obstacles à la circulation des capitaux ou des biens diminuent la réactivité de l’organisation. Son intérêt est de raisonner comme si la planète n’était plus qu’un seul pays. D’où le besoin du libéralisme d’établir le primat de l’économique au détriment de l’institution politique. 

Augmentation des ressources

 Le réseau est un moyen rapide de faire émerger des structures proportionnées à la stratégie de croissance visant la globalisation (mondialisation). Dimitri Weiss[11] met le doigt sur l’essentiel : « La croissance par réseau externe permet à l’entreprise d’obtenir des ressources complémentaires souvent non disponibles en interne. Ces apports offrent la possibilité à une entreprise d’engager ses propres ressources sur les activités et sur les parties de la chaîne de valeur ajoutée où elle dispose de compétences distinctives manifestes en les complétant avec celles d’autres entreprises. » Pour répondre à certains marchés il est en effet nécessaire de pouvoir offrir un éventail de compétences suffisamment larges. Pour illustrer cette stratégie, prenons le cas très simple d’un individu, exerçant le métier de conseil en gestion, travaillant seul sous le statut de profession libérale. A l’échelle individuelle, il aura peut être avantage à s’allier avec des experts informatiques, des experts qualité, des experts en productique, etc. pour offrir à l’entreprise une gamme de compétences suffisamment complète qui lui permettra de répondre spécifiquement à des demandes qui dépassent ses propres compétences. En changeant ce qu’il faut changer, une entreprise, au lieu de se doter de moyens supplémentaires pour répondre à un marché, aura peut-être intérêt à aller chercher les compétences là où elles se trouvent et à s’allier à ceux qui peuvent compléter ses propres prestations. Le même auteur continue « La réunion des ressources internes et externes et les synergies qui en découlent déterminent une augmentation nette des ressources utilisables, en favorisant l’articulation de projets stratégiques qui sont mieux à même de saisir les opportunités disponibles. (…) Une conclusion s’impose dès lors : l’entreprise traverse une période qui met en évidence la crise de son autosuffisance économique, c’est à dire qu’elle est supposée ne plus pouvoir posséder et contrôler directement l’ensemble des ressources stratégiques qui lui sont nécessaires pour concourir de façon novatrice et efficace sur des marchés de plus en plus globaux et compétitifs. C’est pour cette raison qu’elle se voit obligée d’impliquer dans ses projets de développements, des ressources et des compétences engendrées à l’extérieur. »[12] 

Partage des risques

 Le dernier thème de la stratégie du réseau est de partager les risques qu’engendrent les investissements et d’inaugurer des participations financières au capital des entreprises partenaires. Pour qualifier cette pratique il faut examiner les tailles respectives des entreprises. Lorsqu’il s’agit d’organisations de tailles comparables, cette stratégie ne renferme a priori rien de répréhensible. Par contre, lorsqu’une entreprise mondiale dominante demande à un de ses fournisseurs d’investir spécifiquement dans l’achat d’une machine pour la fabrication des pièces qui lui sont destinées, le risque et entièrement supporté par la plus petite entreprise. Même remarque en ce qui concerne les participations au capital[13]. Il n’est pas rare que l’entreprise cliente demande à l’entreprise fournisseur de participer à son capital afin de « sceller le partenariat ». Comme le notent Davidow et Malone[14] : « Du côté des acheteurs il est bien sûr avantageux d’instaurer ce nouveau type de relation avec des fournisseurs moins nombreux et mieux qualifiés, sachant livrer à temps des pièces de meilleure qualité à moindre coût, en offrant à l’occasion l’assistance de ses propres ingénieurs. Dans la mesure où ils partagent les investissements matériels destinés à la fabrication d’un produit de grande série, le producteur est gagnant sur tous les tableaux. En revanche les avantages sont moins évidents pour le fournisseur. Il doit d’abord vaincre la concurrence pour obtenir le marché. Ensuite, produire plus vite et livrer chaque fois dans les délais des articles pratiquement parfaits. Sans oublier ce cher client, qui viendra régulièrement faire sa tournée d’inspection, donner de nouvelles consignes d’exploitation, puiser dans les ressources informatiques et essayer de débaucher les meilleurs éléments. Pour couronner le tout, le fournisseur sera parfois obligé de donner l’exclusivité à un client –donc d’en perdre d’autres -  voire de déménager ses installations pour lui donner satisfaction. » 

LES FORMES DU RESEAU.

  D’après Dimitri Weiss[15] : « le concept de réseau est celui qui rend peut-être le mieux compte des nouvelles réalités organisationnelles, observées avec une attention de plus en plus marquée depuis le second choc pétrolier (…) Il s’agit de rapports de dépendance réciproque étroits, durables et continus, qui permettent la valorisation des complémentarités entre les entreprises participantes et au sein desquels les divers acteurs échangent des ressources et des informations tenant de leur spécialisation, afin d’engendrer, développer et commercialiser des produits et des processus de production ». Le réseau est donc une extension de l’entreprise dont les contours deviennent flous.  

L’externalisation

 Il peut y avoir plusieurs formes de réseaux : une grande entreprise peut décider une restructuration en donnant une réelle autonomie à plusieurs services. Dans ce type de stratégie, plutôt bien vécue, la responsabilité de chaque service est accrue, chacun étant doté de moyens administratifs et logistiques annexes. Une complémentarité peut s’instaurer entre les entités autonomes. Un deuxième style de réseau consiste à externaliser les ressources annexes d’une entreprise qui se recentre sur ses compétences fondamentales. Par exemple, Nike, leader de la chaussure de sport, s’est « recentré » sur la recherche - développement, et le marketing ; au point d’externaliser sa production. Primitivement, Air France intégrait hiérarchiquement des services de restauration, de nettoyage, ainsi que les boutiques Duty Free. Dans le courant des années 80, cette compagnie a externalisé la restauration, le nettoyage, les boutiques Duty Free. Elle a créé des entreprises extérieures dont elle était à la fois l’actionnaire et le client principal. A son tour, l’entreprise Servair assurant la restauration, a externalisé une partie de la cuisine sur Pegorier[16]. Ces externalisations s’opèrent, au moins au départ, par une forte participation au capital des entreprises crées. Cette forme de réseau s’apparente davantage à la stratégie de groupe.  Le jeu de l’externalisation peut être poussé à l’extrême : si le coût d’acquisition et le coût de transaction ne sont pas excessifs on peut imaginer une entreprise qui externalise le conditionnement du produit, une partie ou le tout de sa production, le stockage des matières premières, voire les activités de commercialisation. Bref, l’entreprise acheteuse (entreprise pivot), peut, dans des cas extrêmes être réduite à une équipe d’organisateurs et de coordinateurs faisant appel à un ensemble d’entreprises pour réaliser divers produits en fonction du marché. On nous a cité le cas d’une entreprise cotée en Bourse qui ne comptait que deux employés. Il va sans dire que les cas extrêmes ne sont pas la règle et que ces structures doivent toujours maîtriser les coûts d’achat et de transaction de manière à rester compétitives. En revanche, l’avantage financier, qui résulte du non-investissement, et le potentiel d’adaptation aux aléas du marché, la capacité de reconversion, constituent des avantages économiques certains. 

Allégement des structures

Il existe un autre style de structuration de réseau à rechercher dans une « Lean Organization »[17]. Michael Milgate pense que les organisations qui réussissent leurs externalisations font deux choses mieux que les autres ; d’abord l’externalisation constitue pour elles une stratégie globale et non une solution tactique à des difficultés d’approvisionnement ou de production. Elles ont déterminé la place qu’elles occupaient dans la chaîne de valeurs ainsi que celle de leurs partenaires. La sous-traitance se présente à elles comme une arme stratégique à long terme. En second lieu, les organisations qui réussissent ont une « culture » qui accepte et gère naturellement les accords de sous-traitance. Le personnel ne se plaint pas de « perte du métier ». Il a intégré le passage d’une culture de production à une culture de gestion de contrats de sous-traitance et de collaboration en réseau. Milgate note également l’avantage financier du réseau qui permet « de se concentrer sur les investissements de base en éliminant les investissements dans les activités périphériques et en passant cette responsabilité au sous-traitant. Par exemple, en Australie, Argyle Diamonds, l’un des plus gros producteurs de diamants au monde, sous-traite les activités de terrassement des mines (ce qui lui permet d’éviter les gros investissements en équipement, les services d’hébergement et de restauration des mineurs, ainsi qu’une grande partie de la distribution. » L’entreprise pivot n’entame pas ses réserves financières : elle les consacre à sa stratégie commerciale et au développement de ses parts de marché.Enfin, le recours à la sous-traitance, la limitation des investissements, allègent la structure de l’entreprise pivot. En gestion, cela signifie moins de frais fixes, une rentabilité moins tributaire des productions en grande série[18], une plus grande souplesse, une plus grange capacité à s’adapter aux changements de marché et à se reconvertir.

Comment différencier le réseau du simple recours au marché interentreprise ?

 A partir de quel seuil une entreprise travaillant pour une autre fait-elle partie d’un réseau ? Y a –t il une différence entre le simple recours au marché et le réseau ? Quels critères doit-on considérer pour définir l’appartenance au réseau ? On peut définir le réseau comme une structure hybride intermédiaire entre le marché et l’intégration à l’entreprise utilisatrice. Nous retiendrons les trois critères indiqués par O. Williamson.[19] A savoir : la spécificité des actifs (c’est à dire des équipements et des investissements), la fréquence des relations d’échange et l’incertitude liée à « la rationalité limitée des agents et à la nature asymétrique de l’information  Dans une situation d’incertitude supportable, les deux premiers critères sont jugés primordiaux.  Dans le cas d’une forte spécificité des actifs nécessaire à la production et d’une intensité d’achats - ventes très élevée, la structure hiérarchique sera préférable. Lorsque les investissements nécessaires à une fabrication seront spécifiques, ne pouvant servir à aucun autre usage, l'entreprise doit éviter de dépendre de son fournisseur qui pourrait être tenté de tirer profit de sa technologie ou de son savoir-faire en renchérissant le coût de sa prestation. L’entreprise aura plutôt tendance à consentir aux investissements nécessaires. Préférence sera donnée à l’intégration dans la structure hiérarchique.  A l’inverse, les mécanismes de marché sont préférables lorsque les actifs sont non spécifiques. Dans le cas d’actifs non spécifiques doublés d’échanges occasionnels, l’entreprise aura intérêt à faire appel à la structure de marché. Lorsqu’il est facile de trouver des fournisseurs pour un composant banalisé, mieux vaut avoir recours à une relation classique de sous-traitance, eu égard au montant peu élevé du contrôle de la transaction.nLa structure hybride, située entre le marché et l’intégration hiérarchique à l’entreprise utilisatrice, est caractérisée par des contrats dont le but est de s’assurer la fiabilité du produit ou des services, et de garantir la maîtrise des coûts de transaction et de contrôle.   La structure intermédiaire, qui est la structure du réseau, se décide (entre autre) en considérant le coût d’acquisition, c’est à dire l’achat du produit fabriqué, le coût de la transaction qui couvre le contrôle de la prestation. L’importance du contrôle est abordé plus loin, dans notre exposé des procédures ISO. Coût d’acquisition + coût de transaction = coût total externe qui doit se comparer à l’évaluation d’un coût interne. Cette évaluation des coûts doit toutefois être replacée dans un contexte plus ou moins fluctuant où l’instabilité des produits, des prix et du marché perturbe les prévisions les plus rationnelles. L’appartenance à un réseau se caractérise également par des relations plus durables entre partenaires et entreprise pivot. . La firme utilisatrice recherche des compétences externes en veillant à minimiser les coûts de cette recherche. Une telle politique suppose une vision à moyen ou long terme dont elle tire parti dans sa négociation de la qualité et des prix avec l’entreprise sélectionnée. Dans les années 80, d’après certains auteurs, la durée moyenne des relations pouvait atteindre 13 ans [21] ; certains contrats d’approvisionnement pouvaient couvrir le cycle de vie d’une référence commerciale : par exemple les fonderies Montupet, avec la firme Ford pour la voiture Mondeo. Les relations sont beaucoup plus étroites ; la stabilisation des relations commerciales implique souvent une imbrication très forte des systèmes de planification et de gestion du client et des fournisseurs. Déjà en 1991, le Boston Consulting Group préconisait d’associer les équipementiers aux constructeurs automobiles dès le développement d’un nouveau modèle. La firme pivot (entreprise utilisatrice) peut alors encourager l’achat d’équipements de technologie avancée en garantissant la durée du contrat. En conclusion, l’entreprise en réseau s’accompagne d’un allégement des structures de l’entreprise pivot.  Elle est caractérisée par une recherche de la maîtrise des coûts et du contrôle du produit via les procédures qualité. L’imbrication des fournisseurs dans l’élaboration du produit entraîne une intervention de l’entreprise pivot dans le planning et dans les procédures internes des fournisseurs. Les liens des fournisseurs avec l’entreprise utilisatrice sont plus étroits et plus stables que dans une relation commerciale classique. Pour peu qu’il y ait des participations croisées au capital de chacune des entreprises, le personnel ne sait plus très bien s’il appartient à l’entreprise pivot ou au fournisseur. Les frontières de l’entreprise deviennent floues. A un certain degré, malgré la forme juridique, le fournisseur fait partie de l’entreprise : l’appellation « entreprise en réseau » est justifiée.  

Un problème d’identité

 Des structures floues et changeantes n’aident jamais à clarifier l’identité de l’entreprise. Mais le problème est autre. Il est de nature juridique. Avant même de parler d’entreprise en réseau, il est de bonne méthode de rappeler que la notion d’entreprise, si souvent employée, n’est définie ni par la loi, ni par la jurisprudence, ni par la doctrine juridique. L’économie en France est composée d’un ensemble de sociétés, qui seules, ont la personnalité morale. Or, la notion d’entreprise ne recouvre pas la notion de société, puisque plusieurs sociétés peuvent composer une entreprise. Pour des raisons de commodité, le système informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements (SIRENE) fait coïncider le numéro d’identification avec chaque société juridiquement distincte. Pour autant, cela ne permet pas de donner à l’entreprise une existence juridique : au contraire. Certains employeurs ont découpé artificiellement leur entreprise en sociétés juridiquement distinctes, pour échapper aux minima sociaux. Ce qui a conduit la jurisprudence à reconstituer les entreprises. On en est ainsi arrivé à user de la notion d’unité économique et sociale.[22]

La pratique courante et le cas de l’entreprise en réseau

 L’unité économique et sociale de sociétés, juridiquement distinctes, se détermine en examinant la direction et l’activité des sociétés. Pour ce qui est de l’unité économique, les juges regardent deux choses. Ils se demandent d’abord s’il y a convergence des pouvoirs de Direction (par exemple, les dirigeants sont les mêmes, ou encore, la direction est commune). Ensuite, ils examinent la complémentarité ou mieux l’identité des activités pour identifier l’unité économique. Dans le cas de l’entreprise en réseau, il sera difficile de reprendre ces critères. Prenons le cas de l’usine de montage de la Smart à Hambach (Moselle), à son démarrage (1997). Le terrain et les murs appartiennent à un pool bancaire dominé par la Deutsche Bank. Une entreprise canadienne (Magna) au départ de la ligne de montage se charge de la carrosserie brute. Plusieurs entreprises allemandes se partagent le travail : la peinture (Eisenmann), le tableau de bord avec système de navigation (VDO), Krupp Hoesh livre moteur (Mercedes 660 cm3) monté sur train arrière complet. Bosch confectionne le module avant. Dynamit Nobel (Suède) s’occupe de pièces de carrosserie. Enfin, Ymos (Belgique) monte les portières complètes. MCC (filiale de Mercedes) s’occupe du contrôle et de la direction de l’ensemble. Son capital est quasi inexistant : à peine 100 millions de Francs, alors que le terrain et les murs représentent un investissement de 2,8 milliards de francs[23]. Doit-on parler d’entreprise unique ? Si oui, il faudra dire que Valeo et Peugeot ne font qu’une entreprise, que la Deutsche Bank et Mercedes ne font qu’un, ce qui n’aurait aucun sens. Le fait que les entreprises distinctes soient regroupées sur un seul site ne suffit pas à en faire une seule entité.  Il s’agit pourtant d’une unité, qui devrait être dotée d’une identité.Le problème d’identité de l’entreprise apparaît également au personnel lorsqu’une entreprise décide d’investissements et d’orientations politiques décisives, sans qu’on puisse véritablement déceler à quel niveau se détermine la politique. Par exemple, un groupe de spiritueux britannique achète un premier groupe français (déficitaire) puis un second, plus gros que le premier et bénéficiaire. Toujours via les banques. Puis on demande au second groupe de fermer presque tous ces établissements. On comprend que le réseau commercial du groupe, ainsi mis à mort, servira à écouler des produits britanniques sous le label du groupe français. Mais on ne sait pas clairement qui décide, qui donne les ordres, qui conduit la politique, au profit de qui ? La réponse est dans le réseau. Qui décide de la politique de tel groupe hôtelier ? Est-ce le groupe financier qui vient de l’acheter ? Est-ce le Crédit agricole ou un fonds boursier étranger ? On licencie quelques récalcitrants, on embauche à tour de bras. On restructure beaucoup. Pourquoi, pour quels objectifs ? Mystère.  L’identité de l’entreprise en réseau est d’autant plus importante à déceler, qu’elle est de taille mondiale, capable de « négocier » avec des gouvernements ou d’imposer certaines conditions. Le chiffre d’affaires que représente l’entreprise pivot d’un réseau est très inférieur à sa puissance réelle. Une part des ventes peut s’opérer par des entreprises partenaires. Pour mesurer son poids économique, il faudrait additionner, pour ce qui concerne l’activité du réseau, la part relative des valeurs ajoutées des filiales et des principaux sous-traitants à la valeur ajoutée de l’entreprise pivot elle-même. Il ne serait pas étonnant de découvrir que le poids économique de Carrefour ou PSA Peugeot Citroën dépasse le poids financier de l’Etat français.  Ces puissances économiques, réparties sur plusieurs continents, sans véritable identité, constituent de formidables concentration de pouvoir, sans responsabilité proportionnée puisque sans identité. Telle est l’anomalie, qui n’est pas que juridique.



[1] Cf Les styles de management de F. Taylor à Elton Mayo Cahier n° 1 nouvelle édition, Civitas entreprise janvier 2 005

[2]  Mouvement principalement représenté dans le management  par McGregor, A. Maslow, F. Herzberg. Cf Besoins et motivations de l’homme au travail, cahier n° 2 nouvelle édition, Civitas entreprise, mars 2005.

[3] Stratégie d’entreprise : le management participatif Cahier n°3, Civitas entreprise, février 2003.

[4] C’est à dire mondialisé. De même que nous parlons de « management » qui marque l’appartenance anglo-saxonne des théories désignées sous ce vocable, nous utiliserons, pour les mêmes raisons, le terme de « globalisation » que nous savons être un barbarisme.

[5] Pour plus de détails, voir : Gilles Poché et Claude Paraponaris, L’entreprise en réseau, PUF, 1993.

[6] Risque de ne pas changer assez rapidement de fabrication, de faire attendre un client et risque aussi d’une rotation des stocks trop lente, avec des produits vieillissant mal. Sur cette affirmation il faut toutefois rester très prudent car d’une part les délais sont contraignants et, faute de stocks, on risque de ne pas pouvoir contenter les clients. En un sens, l’externalisation de certaines activités revient à faire supporter le stock au fournisseur. D’autre part, pour certains produits (produits modulaires), on peut concevoir des stocks d’en-cours pour les parties communes à plusieurs options. En matière d’organisation, on est toujours dans des cas particuliers. Les grands principes sont non seulement difficiles à dégager, mais surtout dangereux à généraliser sans soucis d’adaptation jusque dans les détails.

[7] Single Minute Exchange Die (Changement d’outils en temps limité) Théorie d’organisation consistant à préparer en amont tout ce qui peut l’être afin de réduire les temps d’arrêt aux changements de fabrication.

[8] Citée par Davidow et Malone L’entreprise à l’âge du virtuel, Maxima Laurent Dumesnil Editeur, Collection Institut du management d’EDF et de GDF, Paris 1995. p.113 et 133-134

[9] idem

[10] Le mondialisme uniformise. « Act local » se résume à : comment faire passer l’uniformisation dans les contextes culturels particuliers ?

[11] Dimitri Weiss : Les nouvelles frontières de l’entreprise, article paru dans Revue française de gestion, 1994

[12] Dimitri Weiss op. cit.

[13] Rappelons qu’un apport en capital permet à l’entreprise bénéficiaire de disposer de sommes d’argent supplémentaires sans avoir recours au système bancaire, sans avoir d’intérêts à verser. Quant à la distribution de dividendes, elle dépend de l’assemblée générale. Il faut être actionnaire majoritaire pour avoir voix au chapitre.

[14] Op. cit. p. 173

[15] op. cit. p.41

[16] Pégorier n’a pas été créé par Servair. Dans ce cas, il s’agit d’une alliance.

[17] Lean = maigre, pauvre ; « lean years » = années de vaches maigres. La traduction de « lean organization » peut se faire de manière élégante par « structures légères » ou de manière moins élégante par « structures dégraissées ». voir le livre de Michel Milgate Partenariats, Externalisation et Lean Organization, Maxima, Laurent du Mesnil Editeur, Paris 2004

[18] Tout dépend des frais préalables d’études et de développement.

[19] O. Williamson, The economic institutions of capitalism : firms, markets, relational contracting, New York, n.y., The free Press, 1985.

[20] Parler d’information asymétrique, revient à mettre en doute l’égalité des acteurs économiques et leurs possibilités d’agir avec le même degré de rationalité. Supposons par exemple qu’une entreprise achète un produit qu’elle sait pertinemment riche d’avenir. Supposons par contre que le vendeur n’en sache rien. L’acheteur pourra négocier un contrat longue durée à un bon prix. L’asymétrie de l’information, dans le cas de l’entreprise en réseau, porte sur la connaissance du produit, sur le savoir-faire. Le problème de l’entreprise pivot est de ne pas dépendre du fournisseur. Elle souhaite que ses partenaires soient parfaitement transparents. Les procédures qualités vont dans ce sens.

Joseph E Stiglitz, prix Nobel d’économie, en étudiant l’asymétrie de l’information, est arrivé à montrer l’irréalisme du seul recours au marché, de la croyance en « la main cachée qui dirige » chère à Adam Smith et à ses émules. Il conclut « l’une des raisons pour lesquelles la main invisible est invisible, c’est peut être qu’elle n’existe pas. » Cf. Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003

[21] J-P Valla, Eléments d’une approche marketing du concept de filière, Revue d’économie industrielle, N°21, 1982.

[22] Exemple d’utilisation de la notion d’unité économique et sociale : Lorsqu’une unité économique et sociale regroupant au moins cinquante salariés est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un comité d’entreprise commun est obligatoire. (Art L 431-1 du code du travail, 6e alinéa)

[23] Ce montage financier est destiné à protéger les actifs. En cas de gestion déficitaire, MCC France n’est responsable qu’à hauteur de son capital. Le terrain et les murs appartiennent au groupe bancaire qui loue les m2 à MCC. En cas de liquidation des actifs, ni les murs ni le terrain ne pourraient servir à payer les dettes de MCC et resteraient propriété du groupe bancaire.

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8 novembre 2005 2 08 /11 /novembre /2005 14:58
Dans le mouvement vers le village mondial, se bousculent , au premier rang, les chantres de l'entreprise en réseau. Pour en évaluer les pratiques, il convient de rapporter l'enjeu mondialiste à la politique, dont le but est le bien commun d'une nation, à la culture des peuples, à la vie des familles, à la société toute entière.
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  • La politique est refoulée par les mêmes causes qui ont éliminé la religion. Dès lors, que reste-il de la société ? La science ? Mais la science ne donne aucun sens aux actes humains. Il est urgent de retrouver la mémoire de ce que nous sommes
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