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22 novembre 2006 3 22 /11 /novembre /2006 10:24
Dans les stratégies de croissance, il est classique de distinguer la croissance interne, qui consiste à développer l’entreprise à mesure qu’on gagne des parts de marché, et la croissance externe, qui consiste à acheter d’autres entreprises pour s’adjoindre leurs produits et acquérir une position dominante sur le marché. Il existe encore une autre stratégie : celle de l’entreprise en réseau qui ne se ramène ni à la croissance interne, ni à la croissance externe.
C’est une stratégie d’alliances ou de contrats avec d’autres  partenaires  permettant à une entreprise d’accéder aux équipements et aux compétences qu’elle convoite, sans recourir à l’investissement ni à l’achat de nouvelles structures. La stratégie du réseau que nous voulons étudier diffère d’un simple groupe industriel ou commercial comportant des entreprises complémentaires. Elle ne se confondra pas non plus avec l’édification d’une chaîne de magasins ou de restaurants. Enfin, elle se distingue nettement des regroupements d’entreprises comme il en existe par exemple dans le Nord de l’Italie, regroupements plus ou moins formels, qui cherchent à mieux répartir leurs efforts pour affronter un marché difficile et changeant.

STRATEGIES DE CROISSANCE
 

Organisations et stratégies

 Les stratégies de croissance tiennent une place importante dans le management. Elles se conjuguent avec les théories d’organisation, mais s’en distinguent aussi : selon les cas, une politique de croissance peut être accompagnée de beaucoup d’organisation ou de désorganisation, tandis qu’une organisation très rationnelle peut n’être accompagnée d’aucune croissance. Le taylorisme introduit la pensée technique dans l’organisation du travail et met la productivité au premier rang [1]. Le mouvement humaniste[2] veut « réhabiliter » le facteur humain. Il s’agit principalement de donner de l’entreprise une image émancipatrice que le taylorisme compromet gravement. L’effort idéologique des théoriciens du courant humaniste consiste à marier le matérialisme de la productivité avec la promotion de l’homme. Taylorisme et humanisme imprègnent l’organisation interne des sociétés. Le management participatif[3] doit son développement à des considérations d’adaptation de l’entreprise au marché. Il s’agit de trouver la souplesse, l’adaptabilité, la réactivité nécessaires pour développer des produits sur un marché versatile et déjà saturé.  Mais l’entreprise se soucie également de grandir. Le réseau est une stratégie de croissance.

 Comme à l’ordinaire, nous ne ferons de l’entreprise en réseau qu’une présentation succincte, limitée à notre propos : comment évaluer, d’un point de vue chrétien, le management propre à l’entreprise en réseau ou, plus précisément, le management globalisé ?[4] Pour plus de précisions techniques, nous renvoyons aux auteurs que nous citons dans la suite de l’ouvrage.  Parmi les idées dominantes de ce mode d’organisation, on trouve la réduction des temps, mais aussi la réduction de l’espace. Par ce mode d’expansion, le globe terrestre se rétrécit : Air France fait traiter certaines de ses données informatiques en Inde ; Thomson répond à un appel d’offre suédois et décide d’abandonner tel sous-traitant français pour lui préférer une entreprise portugaise. L’informatique, les technologies de communications sont les outils clés de cette mondialisation qu’on appelle « globalisation ». Autre référence constante : le changement. Plus il y a de changements, plus les solutions arrêtées sont provisoires. Les modes d’organisation montrent rapidement leurs limites. Puisque tout change, on hésite à s’engager dans des frais importants. On préfère s’adresser à l’extérieur afin de mettre à profit les compétences et les capacités qu’on n’a pas chez soi.  La stratégie du réseau se découvre d’abord dans les techniques d’organisation. Schématiquement, on peut dire que plusieurs sociétés cherchent à reproduire ce qu’une firme pourrait tenter de réaliser en interne. Pourquoi le recours à plusieurs ? Dans quelle logique ? Pour faire face à quels problèmes ? Nous répondrons à ces questions en rappelant ce qu’on recherche à travers les organisations productives.  

Logiques d’organisation[5]

 Nous nous plaçons dans le contexte actuel, où les produits sont complexes, et les marchés saturés (produits électroménagers, téléphones, véhicules personnels, etc.). Pour vendre, il faut renouveler le produit. Depuis un demi-siècle, on transforme, on modifie les fabrications de plus en plus vite. On innove parfois. On présente souvent autrement (ex : les rasoirs, les crèmes à raser, etc.) C’est la condition pour continuer d’exister.La diversification et le changement des produits, poussés à un certain degré, conduisent l’entreprise aux limites possibles de la réactivité. ¨  La production a tendance à se paramètrer sur les commandes (flux tiré) pour suivre au plus près les évolutions de la demande du marché. La production sur stocks n’est pas assez souple et présente de grands risques.[6]¨  Les séries sont courtes. Il se peut que le planning de production change plusieurs fois par jour en fonction de la demande (par exemple la fabrication de produits de beauté suit l’évolution des stocks dans les grandes surfaces. Un simple coup de téléphone du commercial visitant les points de vente peut déclencher immédiatement l’arrêt d’une fabrication en cours et le démarrage d’une autre fabrication pour répondre à sa demande. ¨Il s’ensuit un temps très variable d’utilisation des installations. Il dépend, entre autres, des commandes et du nombre de changements de fabrication qui nécessitent nettoyages et réglages des machines, lancements de préséries, etc. « L’effet de série » n’est plus aussi assuré.¨  L’effort porte donc sur la réduction des temps de mise en opération appelés temps non-opératoires. Mais cette réduction atteint vite ses limites : le SMED[7] une fois mis en place, il n’y a plus de gain spectaculaire à escompter. Cette organisation de production recherche un avantage par la diversification et la réactivité. Mais, là encore, il y a des limites.¨ Dans nos pays industrialisés, l’imprévisible et l’incertitude sont caractéristiques de la vie économique. Les entreprises deviennent plus complexes, doivent innover et réagir rapidement. Le manque de visibilité rend très vulnérables les entreprises organisées autour de circuits de production automatisés, correspondant à des investissements lourds. La tendance générale des organisations à la diversification et à la flexibilité se renforce.Une entreprise, à elle seule, peut avoir du mal à satisfaire ces exigences à cause des à-coups trop forts et trop fréquents. Les limites de la réactivité et de la flexibilité orientent vers des ressources externes spécialisées. Cette logique correspond mieux à l’organisation en réseau où les contraintes sont réparties sur plusieurs et où les acteurs peuvent intervenir à la demande. La croissance des entreprises passe par une réponse rapide aux marchés. D’où la recherche à l’extérieur d’équipements et de savoir-faire innovants. Une seule entreprise ne peut pas tout posséder et tout faire évoluer en interne. Le recours aux alliances interentreprises aboutit à la stratégie de réseaux. Outre la recherche de la diversification, la stratégie du réseau est un moyen d’accroître rapidement ses capacités de production et de diffusion, sans passer par les contraintes financières classiques : recours aux banques et investissements lourds. L’entreprise pivot – celle qui domine le réseau – réserve sa puissance financière aux dépenses plus névralgiques et garde toute la souplesse et la flexibilité désirable dans un marché versatile et imprévisible.

LES THEMATIQUES DE L’ORGANISATION EN RESEAU.

Diminution des temps de cycles

 La durée de vie des produits ne cesse de décroître. Une étude de 1991 [8] notait que pour l’informatique, la moitié des fournisseurs de systèmes proposaient des produits dont l’espérance de vie, en 1985-1986, était supérieure ou égale à 36 mois. Elle était ramenée en 1991à une durée de vie inférieure à 18 mois. Cette tendance générale n’a fait que se confirmer. Les mêmes auteurs expliquent la nécessité du développement en parallèle, c’est à dire à plusieurs : « Une étude récente estime que 75% du coût réel d’un produit sont déjà déterminés à la phase initiale de conception, qu’un dépassement de 50% sur un budget de développement entraîne une perte de bénéfice de l’ordre de 3,5% et qu’un retard de 6 mois lors de l’introduction sur le marché diminue les recettes de 33%. Comme nous l’avons indiqué auparavant, une autre étude conclut que les cycles de développement mieux conçus sont à même d’offrir à une entreprise des gains potentiels de 40 à 60% supérieurs »[9] Cette vue des choses marque l’importance du temps : mieux vaut ne pas avoir de retard et dépasser un budget que le contraire. Par ailleurs, la part de temps de la production devient relativement moins importante dans l’ensemble du cycle global. Les mêmes auteurs décrivent l’effort de l’entreprise allant dans le sens de la réduction du cycle total, c’est à dire de la conception à la consommation. Pour réduire ce cycle de 10 à 20% il faut se lancer dans des changements révolutionnaires qui remettent en question les concepts mêmes de production, de distribution ou de livraison. D’où le recours à plusieurs partenaires se coordonnant entre eux. 

Rétrécir l’espace

 Un autre thème de l’entreprise en réseau porte sur les efforts pour rétrécir l’espace. Les moyens de transport, les nouvelles technologies de communication permettent de gérer une entreprise à distance et les délocalisations sont là pour montrer la facilité avec laquelle une Direction Générale peut gérer et contrôler un établissement n’importe où sur la planète. Mais l’entreprise préfère de beaucoup avoir sa production à proximité des clients, afin de raccourcir encore le temps entre la commande et la livraison. Par ce moyen, on peut entretenir des relations plus conviviales, mieux connaître les besoins et les attentes du consommateur, mieux évaluer les risques et réagir plus rapidement. D’où la mise en pratique du précepte mondialiste « think global, act local[10] ». Les plans d’investissements s’établissent à partir d’une évaluation de la consommation à l’échelle mondiale. Puis l’entreprise met tout en état pour livrer ses produits là où ils seront consommés. Les freins ou les obstacles à la circulation des capitaux ou des biens diminuent la réactivité de l’organisation. Son intérêt est de raisonner comme si la planète n’était plus qu’un seul pays. D’où le besoin du libéralisme d’établir le primat de l’économique au détriment de l’institution politique. 

Augmentation des ressources

 Le réseau est un moyen rapide de faire émerger des structures proportionnées à la stratégie de croissance visant la globalisation (mondialisation). Dimitri Weiss[11] met le doigt sur l’essentiel : « La croissance par réseau externe permet à l’entreprise d’obtenir des ressources complémentaires souvent non disponibles en interne. Ces apports offrent la possibilité à une entreprise d’engager ses propres ressources sur les activités et sur les parties de la chaîne de valeur ajoutée où elle dispose de compétences distinctives manifestes en les complétant avec celles d’autres entreprises. » Pour répondre à certains marchés il est en effet nécessaire de pouvoir offrir un éventail de compétences suffisamment larges. Pour illustrer cette stratégie, prenons le cas très simple d’un individu, exerçant le métier de conseil en gestion, travaillant seul sous le statut de profession libérale. A l’échelle individuelle, il aura peut être avantage à s’allier avec des experts informatiques, des experts qualité, des experts en productique, etc. pour offrir à l’entreprise une gamme de compétences suffisamment complète qui lui permettra de répondre spécifiquement à des demandes qui dépassent ses propres compétences. En changeant ce qu’il faut changer, une entreprise, au lieu de se doter de moyens supplémentaires pour répondre à un marché, aura peut-être intérêt à aller chercher les compétences là où elles se trouvent et à s’allier à ceux qui peuvent compléter ses propres prestations. Le même auteur continue « La réunion des ressources internes et externes et les synergies qui en découlent déterminent une augmentation nette des ressources utilisables, en favorisant l’articulation de projets stratégiques qui sont mieux à même de saisir les opportunités disponibles. (…) Une conclusion s’impose dès lors : l’entreprise traverse une période qui met en évidence la crise de son autosuffisance économique, c’est à dire qu’elle est supposée ne plus pouvoir posséder et contrôler directement l’ensemble des ressources stratégiques qui lui sont nécessaires pour concourir de façon novatrice et efficace sur des marchés de plus en plus globaux et compétitifs. C’est pour cette raison qu’elle se voit obligée d’impliquer dans ses projets de développements, des ressources et des compétences engendrées à l’extérieur. »[12] 

Partage des risques

 Le dernier thème de la stratégie du réseau est de partager les risques qu’engendrent les investissements et d’inaugurer des participations financières au capital des entreprises partenaires. Pour qualifier cette pratique il faut examiner les tailles respectives des entreprises. Lorsqu’il s’agit d’organisations de tailles comparables, cette stratégie ne renferme a priori rien de répréhensible. Par contre, lorsqu’une entreprise mondiale dominante demande à un de ses fournisseurs d’investir spécifiquement dans l’achat d’une machine pour la fabrication des pièces qui lui sont destinées, le risque et entièrement supporté par la plus petite entreprise. Même remarque en ce qui concerne les participations au capital[13]. Il n’est pas rare que l’entreprise cliente demande à l’entreprise fournisseur de participer à son capital afin de « sceller le partenariat ». Comme le notent Davidow et Malone[14] : « Du côté des acheteurs il est bien sûr avantageux d’instaurer ce nouveau type de relation avec des fournisseurs moins nombreux et mieux qualifiés, sachant livrer à temps des pièces de meilleure qualité à moindre coût, en offrant à l’occasion l’assistance de ses propres ingénieurs. Dans la mesure où ils partagent les investissements matériels destinés à la fabrication d’un produit de grande série, le producteur est gagnant sur tous les tableaux. En revanche les avantages sont moins évidents pour le fournisseur. Il doit d’abord vaincre la concurrence pour obtenir le marché. Ensuite, produire plus vite et livrer chaque fois dans les délais des articles pratiquement parfaits. Sans oublier ce cher client, qui viendra régulièrement faire sa tournée d’inspection, donner de nouvelles consignes d’exploitation, puiser dans les ressources informatiques et essayer de débaucher les meilleurs éléments. Pour couronner le tout, le fournisseur sera parfois obligé de donner l’exclusivité à un client –donc d’en perdre d’autres -  voire de déménager ses installations pour lui donner satisfaction. » 

LES FORMES DU RESEAU.

  D’après Dimitri Weiss[15] : « le concept de réseau est celui qui rend peut-être le mieux compte des nouvelles réalités organisationnelles, observées avec une attention de plus en plus marquée depuis le second choc pétrolier (…) Il s’agit de rapports de dépendance réciproque étroits, durables et continus, qui permettent la valorisation des complémentarités entre les entreprises participantes et au sein desquels les divers acteurs échangent des ressources et des informations tenant de leur spécialisation, afin d’engendrer, développer et commercialiser des produits et des processus de production ». Le réseau est donc une extension de l’entreprise dont les contours deviennent flous.  

L’externalisation

 Il peut y avoir plusieurs formes de réseaux : une grande entreprise peut décider une restructuration en donnant une réelle autonomie à plusieurs services. Dans ce type de stratégie, plutôt bien vécue, la responsabilité de chaque service est accrue, chacun étant doté de moyens administratifs et logistiques annexes. Une complémentarité peut s’instaurer entre les entités autonomes. Un deuxième style de réseau consiste à externaliser les ressources annexes d’une entreprise qui se recentre sur ses compétences fondamentales. Par exemple, Nike, leader de la chaussure de sport, s’est « recentré » sur la recherche - développement, et le marketing ; au point d’externaliser sa production. Primitivement, Air France intégrait hiérarchiquement des services de restauration, de nettoyage, ainsi que les boutiques Duty Free. Dans le courant des années 80, cette compagnie a externalisé la restauration, le nettoyage, les boutiques Duty Free. Elle a créé des entreprises extérieures dont elle était à la fois l’actionnaire et le client principal. A son tour, l’entreprise Servair assurant la restauration, a externalisé une partie de la cuisine sur Pegorier[16]. Ces externalisations s’opèrent, au moins au départ, par une forte participation au capital des entreprises crées. Cette forme de réseau s’apparente davantage à la stratégie de groupe.  Le jeu de l’externalisation peut être poussé à l’extrême : si le coût d’acquisition et le coût de transaction ne sont pas excessifs on peut imaginer une entreprise qui externalise le conditionnement du produit, une partie ou le tout de sa production, le stockage des matières premières, voire les activités de commercialisation. Bref, l’entreprise acheteuse (entreprise pivot), peut, dans des cas extrêmes être réduite à une équipe d’organisateurs et de coordinateurs faisant appel à un ensemble d’entreprises pour réaliser divers produits en fonction du marché. On nous a cité le cas d’une entreprise cotée en Bourse qui ne comptait que deux employés. Il va sans dire que les cas extrêmes ne sont pas la règle et que ces structures doivent toujours maîtriser les coûts d’achat et de transaction de manière à rester compétitives. En revanche, l’avantage financier, qui résulte du non-investissement, et le potentiel d’adaptation aux aléas du marché, la capacité de reconversion, constituent des avantages économiques certains. 

Allégement des structures

Il existe un autre style de structuration de réseau à rechercher dans une « Lean Organization »[17]. Michael Milgate pense que les organisations qui réussissent leurs externalisations font deux choses mieux que les autres ; d’abord l’externalisation constitue pour elles une stratégie globale et non une solution tactique à des difficultés d’approvisionnement ou de production. Elles ont déterminé la place qu’elles occupaient dans la chaîne de valeurs ainsi que celle de leurs partenaires. La sous-traitance se présente à elles comme une arme stratégique à long terme. En second lieu, les organisations qui réussissent ont une « culture » qui accepte et gère naturellement les accords de sous-traitance. Le personnel ne se plaint pas de « perte du métier ». Il a intégré le passage d’une culture de production à une culture de gestion de contrats de sous-traitance et de collaboration en réseau. Milgate note également l’avantage financier du réseau qui permet « de se concentrer sur les investissements de base en éliminant les investissements dans les activités périphériques et en passant cette responsabilité au sous-traitant. Par exemple, en Australie, Argyle Diamonds, l’un des plus gros producteurs de diamants au monde, sous-traite les activités de terrassement des mines (ce qui lui permet d’éviter les gros investissements en équipement, les services d’hébergement et de restauration des mineurs, ainsi qu’une grande partie de la distribution. » L’entreprise pivot n’entame pas ses réserves financières : elle les consacre à sa stratégie commerciale et au développement de ses parts de marché.Enfin, le recours à la sous-traitance, la limitation des investissements, allègent la structure de l’entreprise pivot. En gestion, cela signifie moins de frais fixes, une rentabilité moins tributaire des productions en grande série[18], une plus grande souplesse, une plus grange capacité à s’adapter aux changements de marché et à se reconvertir.

Comment différencier le réseau du simple recours au marché interentreprise ?

 A partir de quel seuil une entreprise travaillant pour une autre fait-elle partie d’un réseau ? Y a –t il une différence entre le simple recours au marché et le réseau ? Quels critères doit-on considérer pour définir l’appartenance au réseau ? On peut définir le réseau comme une structure hybride intermédiaire entre le marché et l’intégration à l’entreprise utilisatrice. Nous retiendrons les trois critères indiqués par O. Williamson.[19] A savoir : la spécificité des actifs (c’est à dire des équipements et des investissements), la fréquence des relations d’échange et l’incertitude liée à « la rationalité limitée des agents et à la nature asymétrique de l’information  Dans une situation d’incertitude supportable, les deux premiers critères sont jugés primordiaux.  Dans le cas d’une forte spécificité des actifs nécessaire à la production et d’une intensité d’achats - ventes très élevée, la structure hiérarchique sera préférable. Lorsque les investissements nécessaires à une fabrication seront spécifiques, ne pouvant servir à aucun autre usage, l'entreprise doit éviter de dépendre de son fournisseur qui pourrait être tenté de tirer profit de sa technologie ou de son savoir-faire en renchérissant le coût de sa prestation. L’entreprise aura plutôt tendance à consentir aux investissements nécessaires. Préférence sera donnée à l’intégration dans la structure hiérarchique.  A l’inverse, les mécanismes de marché sont préférables lorsque les actifs sont non spécifiques. Dans le cas d’actifs non spécifiques doublés d’échanges occasionnels, l’entreprise aura intérêt à faire appel à la structure de marché. Lorsqu’il est facile de trouver des fournisseurs pour un composant banalisé, mieux vaut avoir recours à une relation classique de sous-traitance, eu égard au montant peu élevé du contrôle de la transaction.nLa structure hybride, située entre le marché et l’intégration hiérarchique à l’entreprise utilisatrice, est caractérisée par des contrats dont le but est de s’assurer la fiabilité du produit ou des services, et de garantir la maîtrise des coûts de transaction et de contrôle.   La structure intermédiaire, qui est la structure du réseau, se décide (entre autre) en considérant le coût d’acquisition, c’est à dire l’achat du produit fabriqué, le coût de la transaction qui couvre le contrôle de la prestation. L’importance du contrôle est abordé plus loin, dans notre exposé des procédures ISO. Coût d’acquisition + coût de transaction = coût total externe qui doit se comparer à l’évaluation d’un coût interne. Cette évaluation des coûts doit toutefois être replacée dans un contexte plus ou moins fluctuant où l’instabilité des produits, des prix et du marché perturbe les prévisions les plus rationnelles. L’appartenance à un réseau se caractérise également par des relations plus durables entre partenaires et entreprise pivot. . La firme utilisatrice recherche des compétences externes en veillant à minimiser les coûts de cette recherche. Une telle politique suppose une vision à moyen ou long terme dont elle tire parti dans sa négociation de la qualité et des prix avec l’entreprise sélectionnée. Dans les années 80, d’après certains auteurs, la durée moyenne des relations pouvait atteindre 13 ans [21] ; certains contrats d’approvisionnement pouvaient couvrir le cycle de vie d’une référence commerciale : par exemple les fonderies Montupet, avec la firme Ford pour la voiture Mondeo. Les relations sont beaucoup plus étroites ; la stabilisation des relations commerciales implique souvent une imbrication très forte des systèmes de planification et de gestion du client et des fournisseurs. Déjà en 1991, le Boston Consulting Group préconisait d’associer les équipementiers aux constructeurs automobiles dès le développement d’un nouveau modèle. La firme pivot (entreprise utilisatrice) peut alors encourager l’achat d’équipements de technologie avancée en garantissant la durée du contrat. En conclusion, l’entreprise en réseau s’accompagne d’un allégement des structures de l’entreprise pivot.  Elle est caractérisée par une recherche de la maîtrise des coûts et du contrôle du produit via les procédures qualité. L’imbrication des fournisseurs dans l’élaboration du produit entraîne une intervention de l’entreprise pivot dans le planning et dans les procédures internes des fournisseurs. Les liens des fournisseurs avec l’entreprise utilisatrice sont plus étroits et plus stables que dans une relation commerciale classique. Pour peu qu’il y ait des participations croisées au capital de chacune des entreprises, le personnel ne sait plus très bien s’il appartient à l’entreprise pivot ou au fournisseur. Les frontières de l’entreprise deviennent floues. A un certain degré, malgré la forme juridique, le fournisseur fait partie de l’entreprise : l’appellation « entreprise en réseau » est justifiée.  

Un problème d’identité

 Des structures floues et changeantes n’aident jamais à clarifier l’identité de l’entreprise. Mais le problème est autre. Il est de nature juridique. Avant même de parler d’entreprise en réseau, il est de bonne méthode de rappeler que la notion d’entreprise, si souvent employée, n’est définie ni par la loi, ni par la jurisprudence, ni par la doctrine juridique. L’économie en France est composée d’un ensemble de sociétés, qui seules, ont la personnalité morale. Or, la notion d’entreprise ne recouvre pas la notion de société, puisque plusieurs sociétés peuvent composer une entreprise. Pour des raisons de commodité, le système informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements (SIRENE) fait coïncider le numéro d’identification avec chaque société juridiquement distincte. Pour autant, cela ne permet pas de donner à l’entreprise une existence juridique : au contraire. Certains employeurs ont découpé artificiellement leur entreprise en sociétés juridiquement distinctes, pour échapper aux minima sociaux. Ce qui a conduit la jurisprudence à reconstituer les entreprises. On en est ainsi arrivé à user de la notion d’unité économique et sociale.[22]

La pratique courante et le cas de l’entreprise en réseau

 L’unité économique et sociale de sociétés, juridiquement distinctes, se détermine en examinant la direction et l’activité des sociétés. Pour ce qui est de l’unité économique, les juges regardent deux choses. Ils se demandent d’abord s’il y a convergence des pouvoirs de Direction (par exemple, les dirigeants sont les mêmes, ou encore, la direction est commune). Ensuite, ils examinent la complémentarité ou mieux l’identité des activités pour identifier l’unité économique. Dans le cas de l’entreprise en réseau, il sera difficile de reprendre ces critères. Prenons le cas de l’usine de montage de la Smart à Hambach (Moselle), à son démarrage (1997). Le terrain et les murs appartiennent à un pool bancaire dominé par la Deutsche Bank. Une entreprise canadienne (Magna) au départ de la ligne de montage se charge de la carrosserie brute. Plusieurs entreprises allemandes se partagent le travail : la peinture (Eisenmann), le tableau de bord avec système de navigation (VDO), Krupp Hoesh livre moteur (Mercedes 660 cm3) monté sur train arrière complet. Bosch confectionne le module avant. Dynamit Nobel (Suède) s’occupe de pièces de carrosserie. Enfin, Ymos (Belgique) monte les portières complètes. MCC (filiale de Mercedes) s’occupe du contrôle et de la direction de l’ensemble. Son capital est quasi inexistant : à peine 100 millions de Francs, alors que le terrain et les murs représentent un investissement de 2,8 milliards de francs[23]. Doit-on parler d’entreprise unique ? Si oui, il faudra dire que Valeo et Peugeot ne font qu’une entreprise, que la Deutsche Bank et Mercedes ne font qu’un, ce qui n’aurait aucun sens. Le fait que les entreprises distinctes soient regroupées sur un seul site ne suffit pas à en faire une seule entité.  Il s’agit pourtant d’une unité, qui devrait être dotée d’une identité.Le problème d’identité de l’entreprise apparaît également au personnel lorsqu’une entreprise décide d’investissements et d’orientations politiques décisives, sans qu’on puisse véritablement déceler à quel niveau se détermine la politique. Par exemple, un groupe de spiritueux britannique achète un premier groupe français (déficitaire) puis un second, plus gros que le premier et bénéficiaire. Toujours via les banques. Puis on demande au second groupe de fermer presque tous ces établissements. On comprend que le réseau commercial du groupe, ainsi mis à mort, servira à écouler des produits britanniques sous le label du groupe français. Mais on ne sait pas clairement qui décide, qui donne les ordres, qui conduit la politique, au profit de qui ? La réponse est dans le réseau. Qui décide de la politique de tel groupe hôtelier ? Est-ce le groupe financier qui vient de l’acheter ? Est-ce le Crédit agricole ou un fonds boursier étranger ? On licencie quelques récalcitrants, on embauche à tour de bras. On restructure beaucoup. Pourquoi, pour quels objectifs ? Mystère.  L’identité de l’entreprise en réseau est d’autant plus importante à déceler, qu’elle est de taille mondiale, capable de « négocier » avec des gouvernements ou d’imposer certaines conditions. Le chiffre d’affaires que représente l’entreprise pivot d’un réseau est très inférieur à sa puissance réelle. Une part des ventes peut s’opérer par des entreprises partenaires. Pour mesurer son poids économique, il faudrait additionner, pour ce qui concerne l’activité du réseau, la part relative des valeurs ajoutées des filiales et des principaux sous-traitants à la valeur ajoutée de l’entreprise pivot elle-même. Il ne serait pas étonnant de découvrir que le poids économique de Carrefour ou PSA Peugeot Citroën dépasse le poids financier de l’Etat français.  Ces puissances économiques, réparties sur plusieurs continents, sans véritable identité, constituent de formidables concentration de pouvoir, sans responsabilité proportionnée puisque sans identité. Telle est l’anomalie, qui n’est pas que juridique.



[1] Cf Les styles de management de F. Taylor à Elton Mayo Cahier n° 1 nouvelle édition, Civitas entreprise janvier 2 005

[2]  Mouvement principalement représenté dans le management  par McGregor, A. Maslow, F. Herzberg. Cf Besoins et motivations de l’homme au travail, cahier n° 2 nouvelle édition, Civitas entreprise, mars 2005.

[3] Stratégie d’entreprise : le management participatif Cahier n°3, Civitas entreprise, février 2003.

[4] C’est à dire mondialisé. De même que nous parlons de « management » qui marque l’appartenance anglo-saxonne des théories désignées sous ce vocable, nous utiliserons, pour les mêmes raisons, le terme de « globalisation » que nous savons être un barbarisme.

[5] Pour plus de détails, voir : Gilles Poché et Claude Paraponaris, L’entreprise en réseau, PUF, 1993.

[6] Risque de ne pas changer assez rapidement de fabrication, de faire attendre un client et risque aussi d’une rotation des stocks trop lente, avec des produits vieillissant mal. Sur cette affirmation il faut toutefois rester très prudent car d’une part les délais sont contraignants et, faute de stocks, on risque de ne pas pouvoir contenter les clients. En un sens, l’externalisation de certaines activités revient à faire supporter le stock au fournisseur. D’autre part, pour certains produits (produits modulaires), on peut concevoir des stocks d’en-cours pour les parties communes à plusieurs options. En matière d’organisation, on est toujours dans des cas particuliers. Les grands principes sont non seulement difficiles à dégager, mais surtout dangereux à généraliser sans soucis d’adaptation jusque dans les détails.

[7] Single Minute Exchange Die (Changement d’outils en temps limité) Théorie d’organisation consistant à préparer en amont tout ce qui peut l’être afin de réduire les temps d’arrêt aux changements de fabrication.

[8] Citée par Davidow et Malone L’entreprise à l’âge du virtuel, Maxima Laurent Dumesnil Editeur, Collection Institut du management d’EDF et de GDF, Paris 1995. p.113 et 133-134

[9] idem

[10] Le mondialisme uniformise. « Act local » se résume à : comment faire passer l’uniformisation dans les contextes culturels particuliers ?

[11] Dimitri Weiss : Les nouvelles frontières de l’entreprise, article paru dans Revue française de gestion, 1994

[12] Dimitri Weiss op. cit.

[13] Rappelons qu’un apport en capital permet à l’entreprise bénéficiaire de disposer de sommes d’argent supplémentaires sans avoir recours au système bancaire, sans avoir d’intérêts à verser. Quant à la distribution de dividendes, elle dépend de l’assemblée générale. Il faut être actionnaire majoritaire pour avoir voix au chapitre.

[14] Op. cit. p. 173

[15] op. cit. p.41

[16] Pégorier n’a pas été créé par Servair. Dans ce cas, il s’agit d’une alliance.

[17] Lean = maigre, pauvre ; « lean years » = années de vaches maigres. La traduction de « lean organization » peut se faire de manière élégante par « structures légères » ou de manière moins élégante par « structures dégraissées ». voir le livre de Michel Milgate Partenariats, Externalisation et Lean Organization, Maxima, Laurent du Mesnil Editeur, Paris 2004

[18] Tout dépend des frais préalables d’études et de développement.

[19] O. Williamson, The economic institutions of capitalism : firms, markets, relational contracting, New York, n.y., The free Press, 1985.

[20] Parler d’information asymétrique, revient à mettre en doute l’égalité des acteurs économiques et leurs possibilités d’agir avec le même degré de rationalité. Supposons par exemple qu’une entreprise achète un produit qu’elle sait pertinemment riche d’avenir. Supposons par contre que le vendeur n’en sache rien. L’acheteur pourra négocier un contrat longue durée à un bon prix. L’asymétrie de l’information, dans le cas de l’entreprise en réseau, porte sur la connaissance du produit, sur le savoir-faire. Le problème de l’entreprise pivot est de ne pas dépendre du fournisseur. Elle souhaite que ses partenaires soient parfaitement transparents. Les procédures qualités vont dans ce sens.

Joseph E Stiglitz, prix Nobel d’économie, en étudiant l’asymétrie de l’information, est arrivé à montrer l’irréalisme du seul recours au marché, de la croyance en « la main cachée qui dirige » chère à Adam Smith et à ses émules. Il conclut « l’une des raisons pour lesquelles la main invisible est invisible, c’est peut être qu’elle n’existe pas. » Cf. Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003

[21] J-P Valla, Eléments d’une approche marketing du concept de filière, Revue d’économie industrielle, N°21, 1982.

[22] Exemple d’utilisation de la notion d’unité économique et sociale : Lorsqu’une unité économique et sociale regroupant au moins cinquante salariés est reconnue par convention ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un comité d’entreprise commun est obligatoire. (Art L 431-1 du code du travail, 6e alinéa)

[23] Ce montage financier est destiné à protéger les actifs. En cas de gestion déficitaire, MCC France n’est responsable qu’à hauteur de son capital. Le terrain et les murs appartiennent au groupe bancaire qui loue les m2 à MCC. En cas de liquidation des actifs, ni les murs ni le terrain ne pourraient servir à payer les dettes de MCC et resteraient propriété du groupe bancaire.

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  • La politique est refoulée par les mêmes causes qui ont éliminé la religion. Dès lors, que reste-il de la société ? La science ? Mais la science ne donne aucun sens aux actes humains. Il est urgent de retrouver la mémoire de ce que nous sommes
  • La politique est refoulée par les mêmes causes qui ont éliminé la religion. Dès lors, que reste-il de la société ? La science ? Mais la science ne donne aucun sens aux actes humains. Il est urgent de retrouver la mémoire de ce que nous sommes

Pie XII


La grande misère de l'ordre social est qu'il n'est ni profondément chrétien  ni réellement humain, mais uniquement technique et économique

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